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Roland GARROS
Auteur : Jacques MORTANE
Editeur : Editions Baudinière
Année : 1938
Sujet : Mémoires
Présentation : Pour donner du courage à
la jeunesse, il faut lui présenter des exemples. Le plus
pur qu'on puisse lui proposer est celui de Roland Garros.
Nombreux sont ceux qui, venant à l'aviation
et surtout à l'Aviation populaire, se voient déjà
appelés à la gloire, s'imaginant être les
élus de la fortune. Dans leurs rêves, ils se voient
descendant de leur avion, saisis par une foule en délire,
hissés sur des épaules puissantes, comblés
de fleurs et conduits devant le micro où ils prononcent
des phrases définitives et flatteuses pour eux- mêmes.
Car on peut être champion sans être
simple. L'un et l'autre se trouvent rarement réunis !
C'est pourquoi nous avons choisi Roland Garros,
symbole de valeur, de noblesse et de modestie, qui ne travailla
jamais pour la galerie. Que son âme dicte aux jeunes leur
ligne de conduite !
Evitez l'orgueil. Ne croyez pas que l'aviation
vous attend pour donner son maximum. De même que c' est
en forgeant que l'on devient forgeron, c'est en travaillant que
l'on devient aviateur.
Etre un héros, c' est souvent le résultat
d'un hasard. Combien le furent accidentellement. Etudiez la carrière
de n'importe quel grand champion, vous constaterez que c' est
à un heureux concours de circonstances qu' a été
due leur réussite. Que Guynemer n'ait pas rencontré
le commandant Bernard-Thierry, il n'aurait jamais été
militaire. Si Mermoz n'avait pas reçu une convocation
de la Compagnie Latécoère, il se serait peut-être
contenté du métier d'assureur. Si Garros... mais
vous le verrez plus loin.
Il faut entrer dans la carrière aérienne
en se disant non pas : « Je serai un as ! » mais:
« Je veux me rendre digne de mes glorieux aînés
». Surtout, ne vous imaginez pas que vous deviendrez tous
des pilotes. La plupart d' entre vous songent à leur première
permission lorsqu'ils seront militaires: « Ah ! revenir
chez moi avec l'insigne ailé ! » Voilà à
quoi rêvent les jeunes gens dans l'espoir de faire rêver
les jeunes filles !
Sachez avant tout que, si on ne le mérite
pas par le coeur et par l'âme, l'insigne n'est qu'un hochet
sur une poitrine.
Le pilote est le résultat d'une sélection.
Si vous étiez, vous, pilotes, qui soignerait vos moteurs,
qui mettrait au point votre avion ? N'oubliez pas que l'aviation
ouvre de multiples carrières, où il vous est loisible
de prouver votre conscience, votre valeur et d'arriver à
une belle situation.
L'Aviation populaire n'a pas été créée
pour ne faire que des pilotes. Grâce à elle, vous
pouvez choisir un bon métier, devenir un spécialiste
de qualité et faire ainsi votre vie.
Vous ne serez pas aviateur ? La belle affaire,
puisque vous aurez la chance inespérée de travailler
dans la branche qui vous plaît, et cela en ayant juste
pris la peine de consacrer vos loisirs à venir au terrain
d'aviation et à suivre des cours agréables, faits
par des moniteurs qui sont des amis.
Vous ne serez pas champion ? N'avons-nous pas
des exemples d'ingénieurs, de navigateurs, de radios,
de mécaniciens, célèbres et décorés
?
Entre nous, croyez-vous que la gloire soit
si agréable ? Elle a des caprices de jolie femme. Rien
n'est plus fugitif.
Costes peut se promener aux Champs-Elysées
sans être importuné, sans même que les gens
se retournent sur son passage. Il y a quelques années,
il créait des embouteillages ! La célébrité
l'ennuyait. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il préfère
l'indifférence d'aujourd'hui, du moins il est plus tranquille.
En 1931, j'étais, à Varsovie, l'hôte
du général Denain, lors du passage de l'escadrille
des as. Nous avions matin et soir des banquets officiels. Parmi
les as, se trouvaient Costes et Pelletier Doisy. On ne s'occupait
que de celui-ci qui, à chaque repas, devait refaire le
récit de son Paris-New-York. « Pivolo » était
déjà oublié et pourtant, après son
Paris-Tokio et tant d'autres raids, n'avait- il pas connu une
popularité égale ?
La roue tourne. Un clou chasse l'autre. Il faut se
rendre digne des sourires de la Fortune sans trop y compter,
et en profiter sans en concevoir une prétention qui réserverait
de fâcheux réveils.
Venez à l'aviation pour travailler avec ardeur,
avec dévotion, pour pouvoir dire: « Je sers ma Patrie,
le progrès, je peux être fier de moi ! »
Et cela, voyez-vous, être fier de soi, sans
partialité, ni indulgence, c'est la plus belle récompense
dont puisse être digne un homme dans le vrai sens du mot
!
Lisez la vie de Roland Garros, prenez-la comme modèle.
En connaissant les aventures et les travaux de ce magnifique
apôtre, vous apprendrez à considérer l'aviation
- Sainte Aviation -comme elle doit être jugée :
on se donne à elle avec foi sans même savoir ce
qu'elle vous donnera en échange.
Appréciation : **** |