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Photo: GIFAS

Aerospatiale British CONCORDE

Premier vol : 2 mars 1969
Pilotes d'essais : André TURCAT, Jacques GUIGNARD, Henri PERRIER, Michel RETIF

Dans le domaine des transports, la vitesse a toujours été considérée comme un facteur précieux. Ainsi a-t-il toujours paru logique de concevoir des avions de ligne de plus en plus rapides, dans la mesure où leur mise en oeuvre ne soulevait aucun problème particulier. C'est en 1956 que, des deux côtés de la Manche, les ingénieurs envisagèrent la réalisation d'avions de transport supersoniques. Ces projets étaient remarquablement ambitieux, puisque, pour des raisons diverses, les premières tentatives dans le domaine des appareils de transport civil à réaction (De Havilland Comet I et II en Grande-Bretagne, Avro Jetliner au Canada) s'étaient soldées, quelques mois plus tôt, par des échecs.

De nombreux prototypes d'avions militaires français ayant par ailleurs atteint des vitesses de l'ordre de Mach 2 (Trident, Durandal, Gerfaut, Griffon, Mirage III), les services officiels incitèrent les sociétés Sud- Aviation, Nord-Aviation et Dassault à élaborer des avant-projets concer- nant un avion moyen-courrier affichant une vitesse de croisière de Mach 2,2. Pour hardie qu'elle fût, cette entreprise n'éait pas unique au monde, puisque simultanément, en Grande-Bretagne, Bristol étudiait la possibilité de réaliser un appareil comparable. Il ne se trouvait alors personne pour penser que la mise au point d'une telle machine volante pourrait se heurter à une opposition prenant l'allure d'une véritable croisade. Aucun responsable n'imaginait non plus que nombre de gouvernements, au premier rang desquels celui des Etats-Unis, manifesteraient autant de mauvaise volonté à accorder à l'appareil les autorisations de survol ou de mise en oeuvre à partir de leur territoire.

Ce qui était clair, en revanche, c'était l'ampleur des problèmes scientifiques et techniques auxquels il fallait apporter une solution pour qu'une telle entreprise aboutisse. L'une de ces difficultés tenait au fait que, pour une même portance, la traînée aérodynamique d'une voilure est multipliée par plus de deux lorsque l'avion passe de Mach 0,9 à une vitesse supersonique. Diverses options possibles
Il était évident qu'un avion de ligne supersonique devait présenter une configuration nouvelle, avec une voilure de très faible épaisseur relative et un fuselage particulièrement long pour une section réduite. Le STAC britannique se pencha sur trois possibilités qui s'offraient alors. La première consistait en un appareil obéissant à la loi des aires, récemment découverte aux Etats-Unis par Whitcomb, et possédant une curieuse voilure en M, en flèche vers l'avant à l'emplanture, et dont les parties extérieures présentaient une flèche arrière. La vitesse de croisière prévue était de Mach 1,2, la distance franchissable devant atteindre 2 400 km. La deuxième était un appareil à voilure en delta, assez semblable à ce qu'allait être le Concorde, conçu pour voler à Mach 1,8 et pour franchir des étapes de 5 650 km. La troisième concernait un véritable monstre réalisé en acier et en titane, possédant une autonomie comparable à celle du précédent, mais volant à Mach 3. D'emblée, les responsables jugèrent que la réalisation d'un tel appareil poserait trop de problèmes techniques et financiers. Les industriels américains allaient néanmoins, pendant quatorze années, dépenser plus de 2 milliards de dollars à l'étude d'un projet semblable. En mars 1959, le STAC retint deux orientations possibles : un avion moyen-courrier volant à Mach 1,2, et un transatlantique croisant à Mach 1,8, le Ministry of Aviation attribuant des crédits à l'étude de la seconde formule. Vers la fin de l'année 1960, il apparut qu'une voilure en forme de plan ogival (également dite « gothique ») offrait les meilleures performances.

En 1960, la société Bristol, alors sur le point de disparaîltre au terme du processus de concentration industrielle qui devait aboutir à la création de British Aircraft Corporation (BAC), élabora un projet d'avion supersonique transatlantique pour 130 passagers, doté de six turboréacteurs Bristol Siddeley Olympus. Au cours de l'été de 1961, le ministère récusa ce projet, réclamant l'étude d'un quadriréacteur de 113 t (au lieu de 172) pour 100 passagers. Pendant ce temps, en France, les études menées par Sud-Aviation débouchaient sur un appareil assez semblable, la Super-Caravelle, dont une maquette fut exposée au Salon de l'aéronautique de 1961, le projet recevant l'approbation des services officiels au mois d'octobre. Les coûts de mise au point d'un appareil destiné à effectuer une percée technologique de cette importance se situant à l'extrême limite des possibilités financières de l'un et de l'autre Etat, la coopération apparut comme la solution la plus rationnelle.

Les projets élaborés des deux côtés de la Manche présentaient, en effet, de fortes similitudes. Bien que la Super-Caravelle fût prévue pour transporter de 70 à 80 passagers avec une autonomie inférieure à celle du BAC 223, la ressemblance des formes révélait le choix d'options techniques très voisines. Les techniciens français pensaient pouvoir éviter le recours à une pointe avant basculante, destinée à assurer au pilote une bonne visibilité aux fortes incidences, disposition qui paraissait indispensable aux Britanniques.

Le 29 novembre 1962, à l'issue de négociations dont l'origine remontait au début de l'année précédente, les gouvernements français et britannique signèrent un accord de coopération aux termes duquel BAC et Sud-Aviation (qui allait bientôt fusionner avec l'autre société nationale et la SEREB pour former l'Aérospatiale) se chargeraient à parts égales des investissements nécessaires au développement de la cellule. Rolls-Royce et la SNECMA faisant de même en vue de fabriquer le réacteur, dérivé de l'olympus britannique et baptisé Olympus 593. Le constructeur britannique devait plus particulièrement définir la version transatlantique de l'appareil, tandis que son homologue en France se chargerait d'une version moyen-courrier.
Un immense capital de savoir-faire

La compétence des animateurs de l'entreprise était une garantie de sa réussite, sir George Edwards assumant la responsabilité de la conception d'ensemble de l'avion. Les ingénieurs en chef chargés de sa définition furent, du côté britannique, sir Archibald Russell et Bill Strang ; et en France Pierre Satre, créateur de l'aile volante SE.2100, des SE.2300 et SE, 2310, mais surtout des Grognard, de l'Armagnac et de la Caravelle, de même que Lucien Servanty, qui avait mis au point le premier avion à réaction français, le SO.6000 Triton, ainsi que les Espadon et les Trident.

Assez vite, les Français abandonnèrent l'idée d'un moyen-courrier pour adopter celle d'un appareil transatlantique. Déjà se manifestait un courant d'opinion hostile au transport supersonique franco-britannique, certains craignant - ou feignant de craindre - qu'il ne soit dépassé par un appareil anaéricain alors en cours d'étude, capable de transporter 250 passagers à Mach 3. Les participants du programme lancé en 1962 continuèrent néanmoins à croire à la validité de l'entreprise. L'appareil, qui prit le nom de Concorde en 1963, vit sa masse passer de 119 à 130 t, et le nombre de passagers sur les étapes les plus longues de 90 à 100. L'avion continua à évoluer en fonction des besoins exprimés par les utilisateurs potentiels, et sa masse atteignit bientôt 148 t, le fuselage recevant 118 sièges. Le projet définitif fut arrêté au début de 1965, la construction des prototypes 001 et 002 étant aussitôt entreprise.

Les accords stipulaient la création de deux chaînes de montage, l'une à Toulouse-Saint-Martin, l'autre à Filton, mais ces deux usines produibaient des sous-ensembles complémentaires. Ainsi, la partie avant, les empennages, l'installation motrice étaient fabriqués a Filton, la partie centrale et le train d'atterrissage en France. L'industrie française assurait aussi la fabrication de la majeure partie (60 %) de la cellule, la SNECMA étant minoritaire dans la réalisation des propulseurs. Les équipements provenaient a parts égales des deux pays, certains étant même d'origine américaine.

Une voilure complexe
La voilure, particulièrement complexe, comportait une cambrure conique qui se caractérisait par des bords d'attaque « tombants ». L'épaisseur relative, remarquablement faible, se situait à 3 % entre le fuselage et les réacteurs et a 2,15% de part et d'autre des réacteurs. Des éléments des ailes étaient assemblés à Bouguenais (près de Nantes), à Toulouse, à Saint-Nazaire et à Marignane. Mais c'est Dassault qui, a Bourges, fabriquait les parties externes. Le contrôle en roulis et en profondeur était obtenu par six élevons répartis sur le bord de fuite et actionnés par des vérins fonctionnant sous une pression de 280 kg/cm2. L'inconvénient de tout avion à aile delta sans empennages réside dans le fait que ces élevons, au décollage et a l'atterrissage, sont braqués vers le haut, ce qui diminue la portance. Néanmoins, les ingénieurs trouvèrent une solution très élégante au problème posé par le déplacement du centre de portance en fonction de la vitesse, solution qui n'entraînait aucune augmentation de la traînée. La majeure partie des 117 000 1 de kérosène est entreposée dans des réservoirs structuraux situés dans les ailes et sous le plancher de la cabine. Mais des réservoirs de centrage disposés en avant de l'emplanture et dans la partie arrière du fuselage permettent, grâce a un circuit de transfert de carburant, de déplacer d'avant en arrière le centre de gravité de l'avion de façon que son mouvement épouse celui du point d'application de la résultante des forces aérodynamiques. Pendant la phase d'accélération transsonique, le carburant est expédié des réservoirs de centrage avant vers les réservoirs principaux et le réservoir de centrage arrière. A la fin de la phase de croisière supersonique, le contenu de ce dernier est ramené vers l'avant, le centre de portance se déplaçant dans le même sens.

La majeure partie de la cellule est réalisée dans un alliage connu en France sous le nom de AU2GN, et en Grande-Bretagne sous celui de Hindumimium RR.58. Quant aux réacteurs, ils comprennent essentielle ment des pièces en alliage à base d'acier, de titane et de nickel, les entrées d'air, de grandes dimensions, étant à géométrie variable, avec des lèvres minces et un système électrique de dégivrage. La paroi supérieure de chaque canal d'entrée d'air comporte deux rampes mobiles permettant d'ajuster le débit d'air en fonction du régime de vol. Sur la surface inférieure, une porte mobile, elle-même pourvue de volets, peut - a.u décollage ainsi que pendant la montée et la descente - faire entrer de l'air dans la veine d'alimentation du réacteur ou au contraire, au cours d'une partie du vol de croisière, y créer une fuite d'air. La tuyère des réacteurs, de section variable, dotée d'un système d'inversion de poussée, a été réalisée par la SNECMA. Les bogies à quatre roues du train principal s'escamotent vers l'intérieur et comportent un dispositif de freinage réalisé par Dunlop.

En 1966, d'importants sous-ensembles de la structure furent soumis à des tests de résistance aux contraintes mécaniques et thermiques. Le prototype 001, qui sortit de l'usine de Toulouse le 11 décembre 1967, ne devait toutefois entreprendre ses essais de roulage qu'en août de l'année suivante, le premier vol étant effectué le 2 mars 1969 avec André Turcat aux commandes. Le 002, piloté par Brian Trubshaw, prit l'air un mois plus tard, à Filton. Des pilotes appartenant à des compagnies aériennes prirent en main ces prototypes en novembre, sans avoir à faire face à une quelconque difficulté technique. Pourtant, l'apparition de Concorde soulevait déjà des problèmes, les écologistes dénonçant ses effets néfastes sur l'environnement, notamment en matière de nuisances sonores et de pollution de la haute atmosphère. D'autres mirent l'accent sur l'importance croissante des coûts de production et d'exploitation, due au fait que les estimations initiales, particulièrement optimistes, n'avaient tenu compte ni de l'augmentation de capacité et de performances décidée au cours de la phase de développement, ni de l'inflation monétaire.
Les contrats sont signés

En 1971, les prototypes accomplirent des tournées de démonstration dans le monde entier. En décembre, le premier appareil de présérie entreprit ses essais avec une visière modifiée et un fuselage plus allongé. Le 28 juillet 1972, British Airways commanda cinq Concorde à BAC, et Air France quatre a l'Aérospatiale. Dès le mois de juin 1963, Pan Am avait pris une option sur six exemplaires, mais aucune d'entre elles ne devait être transformée en commande ferme. En octobre 1973, le prototype 001 fit son entrée au musée de l'Air, au Bourget, deux mois avant que l'avion tête de série ne quitte le sol. En 1975, il ne restait plus guère de par le monde, de capitales, qui n'aient reçu la visite de Concorde, les vols de prospection ayant montré la régularité exemplaire qu'on pouvait attendre de l'exploitation du supersonique franco-britannique. Celle-ci débuta le 21 janvier 1976, l'avion n' 206 de British Airways reliant Londres à Bahreïn, et le n° 205 d'Air France effectuant le trajet Paris-Dakar-Rio. Les deux compagnies firent poser simultanément sur deux pistes parallèles leurs Concorde à Washington le 24 mai 1976, Puis, le ler septembre 1978, l'appareil fut autorisé à effectuer des atterrissages automatiques en catégorie III avec des passagers à bord.

Bien que l'utilisation commerciale du Concorde se fût traduite, au cours des premières années, par un succès non négligeable, l'avion ayant incontestablement les faveurs de la clientèle la plus aisée et faisant preuve d'une excellente fiabilité, un certain nombre de facteurs, au pre- mier rang desquels l'augmentation vertigineuse du prix du carburant, ne tardèrent pas à mettre un frein à l'enthousiasme de ses partisans. A la fin de l982, les appareils en service étaient loin d'être employés autant qu'ils auraient pu l'être, si bien qu'il était même question de les retirer du service. La ligne Washington-Dallas, exploitée en pool par Air France, British Airways et Braniff, cessa ses activités dès juin 1980. En avril 1982, Air France interrompit la desserte de Rio et de Caracas avec ses Concorde, le seul itinéraire encore ouvert au transport supersonique étant la ligne quotidienne vers New York. Actuellement, British Airways exploite deux vols par jour vers New York et trois vols par semaine vers Washington. A ces services réguliers s'ajoutent quelques vols charters.

Des améliorations mineures apportées notamment aux lèvres des entrées d'air et au bord de fuite du gouvernail ont eu une incidence favorable sur les qualités économiques de l'avion, dont la rentabilité reste néanmoins très faible et dont la clientèle se recrute essentiellement parmi les hommes d'affaires, le coût du billet étant élevé.

Les gouvernements n'ont pas ménagé leurs efforts pour tenter de redresser le bilan global de l'opération. En mai 1982, le ministre britannique de l'Industrie, Norman Lamont, et son homologue français des Transports, Charles Fiterman, après avoir fait le point de la situation, envisagèrent des solutions : ils devaient constater que mettre fin à l'ex- ploitation des Concorde coûterait plus cher que de la poursuivre. Les constructeurs, riches de l'expérience acquise, ont étudié des dérivés de l'avion sur lesquels le rapport portance/traînée, qui est aujourd'hui de l'ordre de 7, passerait aux environs de 10. Mais la conjoncture actuelle n'est pas favorable au lancement de réalisations concrètes dans ce domaine. Toutefois, il faut s'attendre à voir apparaître un jour de nouveaux appareils de transport civil à très hautes performances.

Depuis leurs entrées en service, les Concorde de British Airways et d'Air France ont transporté respectivement 1 300 000 et 795 000 passa.- gers au-dessus de l'Atlantique. Les appareils, qui ont accompli au total plus de 136 000 heures de vol, effectué plus de 40 000 décollages et dont les trajets couvrent - dans 93% des cas - des distances supérieures à 6 440 km, se sont révélés extrêmement faisables. Actuellement. les flottes d'Air France et de British Airways alignent chacune sept Concorde.

 

 



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Dernière mise à jour le 17 septembre 2000