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MISERE et GRANDEUR
de notre AVIATION
Auteur : Lieutenant-Colonel LANGERON
Editeur : Editions BAUDINIERE
Année : 1942
Sujet : Souvenirs
Présentation : Ceux
qui vivent, ce sont ceux qui luttent. VICTOR HUGO.
Il y a presque un quart de siècle, je
fis, sur un brancard, mon entrée en gare de Vichy. Par
petites étapes, je venais de Verdun. Un colonel, le sous-préfet
de Lapalisse, en uniforme, et un médecin-militaire attendaient
le train sanitaire qui me transportait.
Ils me reçurent comme si j'avais été
ministre parce que, simple lieutenant, j'étais le plus
haut gradé de ce convoi de fantassins.
- Voulez-vous être hospitalisé
au Pavillon Sévigné ? me dit le colonel.
J'aeceptai comme j'aurais accepté
d'entrer à l'Hôtel du Parc ou à l'Hôtel
des Ambassadeurs. J'ignorais, d'ailleurs, que l'Hôtel Sévigné
fut la maison hors-classe, réservée aux têtes
couronnées. Un camion m'y conduisit donc et l'on m'assigna,
au premier, une vaste pièce qui dominait le parc si noble
et si calme, et c' est là que j'écrivis mon livre
de guerre : Le Prix de l'Homme qui s'efforçait de répondre
au Feu.
Un soir d'automne, vers la fin
de 1916, mon infirmière, qui s'appelait Mlle Jane Garet,
fit irruption dans ma chambre
- Plus de mille blessés
sont annoncés, s'écria-t-elle, toutes les ambulances
sont pleines
à craquer, on va mettre un deuxième
lit en face du vôtre.
Un fantassin l'occupa bientôt,
un autre lieutenant, André Langeron, vingt ans à
peine, le regard acéré, la tête massive,
à la fois pétulant et sensé; il était
bien amoché, mais d'un fameux moral.
- Que faites-vous pour ne
pas mourir d'ennui, entre les pansements? fut son premier mot.
- Je m'occupe avec mon stylo, lui
répondis-je ; l'exercice libre du cerveau, rn' a dit Faguet,
mon maître, est la seule raison de vivre un peu sérieuse
qu'on ait pu trouver.
C'est ainsi qu'à son tour, mon
camarade devint écrivain.
A la fin de 1917, lorsque, sur mes béquilles, j'entrai
au 2me bureau, il prit, inapte au front, du service dans l'aviation
et termina la guerre au G. B. 5.
Six ans plus tard, un soir, sur
la Canebière, une main robuste s'abat sur mon épaule.
Je me retourne, c'était André Langeron, devenu
capitaine.
- Et où allez-vous?
-Volontaire pour la Syrie, je rejoins le lieutenant-colonel
Vuillemin.
Cette fois, nous ne devions plus perdre le
contact.
En 1928, Etienne Riché est élu
député des Ardennes.
- J'entre à la Chambre, m'avait-il dit,
pour y exercer une action bien déterminée. Je veux
y sauver notre aviation, je n' y veux pas d'autre tâche.
Connaissez-vous un pilote de choix, brave, enthousiaste, intelligent
?
- Attachez-vous André Langeron.
Il a des qua1ités uniques.
Ceux qui savent quelle fut l' oeuvre d' Etienne
Riché au ministère de l'Air, de janvier 1931 à
juin 1932, ont mesuré la perte irréparable éprouvée
par le pays lorsque mourut, en 1934, le député
de Sedan.
J e n'ai iamais vu détresse plus bouleversante
que celle d'André Langeron, à la clinique de la
rue de la Chaise, devant le cercueil d'Etienne Riché que
veillait son fils aîné Philippe.
- Un tel homme ne peut être remplacé,
disait-il, lui seul eût été capable de garder
à la Françe sa place de grande puissance aérienne,
lui seul possédait l'indépendance, la méthode
et la foi !
L'équipe des Ailes décapitée
retrouvera-t-elle un chef digne d'elle ?
Le Commandant André Langeron l'appelle
de sa voix claire.
Chacun de ses articles est un cri d'alarme.
Il essaie d'arracher les pouvoirs publics à leur torpeur,
il lance l'idée d'un plan de dix mille avions à
construire en série, il étale la pauvreté
sordide de l'aviation privée dont le budget, en 1936,
se monte - écoutez bien ce chiffre - à quatorze
millions, il crée des aéro-clubs sur tout notre
territoire, il s'évertue à communiquer son ardeur
à la jeunesse, il prouve, par des formules lumineuses,
que la force aérienne aura, dans une guerre, et sur mer
et sur terre, une importance décisive, il tire les enseignements
de la guerre d'Espagne et, mesurant d'un coup d'oeil génial
les conséquences de notre infériorité vis-à-vis
de nos adversaires, il adhère au Comité France-Allemagne.
Cest ainsi qu'il peut ,aller vérifier, sur place, l'organisation
prodigieuse de l'aviation du IIIre Reich et , qu'il explique
à qui veut l'entendre, qu'une guerre serait pour nous
un désastre parce que nous ne possédons ni usines,
ni matériel, ni pilotes, ni D. C. A., ni parachutistes
et parce que les Anglais ne sont pas mieux équipés
que nous.
Mais l'entourage de Daladier reste hermétique,
six pauvres hommes montent la garde auprès de ce misérable,
grisé par un pouvoir usurpé; l'acte de folie du
3 septembre est consommé.
Après la conquête de la Pologne,
le lieutenant-colonel Langeron me remet un mémoire qui
se terminait par ces mots : « cette campagne, basée
sur une surprise technique, est comparable aux plus belles conceptions
de Napoléon ; ce qui vient de se produire en Pologne,
se reproduira en France ».
Cette fois, je force les portes et je fais
déposer ce document prophétique sur la table d'un
de nos plus grands chefs militaires.
- Dites à ce colonel, m'est-il répondu,
que son imagination ne saurait convaincre les maîtres de
l'Ecole de Guerre !
Le 1er mai 1940, le lieutenant-colonel André
Langeron au cours d'une soirée mémorable, me renouvelait
ses craintes. Il allait prendre le commandement de son unité,
il me faisait ses adieux, avant une lutte aussi désespérée
que celle d'Hector avec Achille ; Il aurait pu répéter,
lui aussi :
« Qui dit ce qu'il sait, qui donne ce qu'il a, qui fait
ce qu'il peut, n'est pas obligé à davantage ».
Et pourtant, il voulait être de ceux qui, pareils à
Philippe Riché tombé quelques jours plus tard,
garderaient l'honneur.
En écrivant ces pages que je suis fier
de présenter au public, André Langeron a continué
de servir.
JEAN DE GRANVILLIERS.
Appréciation : *** |