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MACH 1
Auteur : Mike LITHGOW
Editeur : EDITIONS FRANCE
EMPIRE
Année : 1955
Sujet : Histoire
Présentation : Vous allez lire (ou si, comme moi, vous laissez les
préfaces pour la fin, vous venez de lire) un livre écrit
par l'un des meilleurs pilotes d'essais de notre temps. C'est
une histoire passionnante qui traite d'événements
passionnants, mais mon impression, quand je l'ai lue, c'est que
la signification réelle du récit de Lithgow n'apparaît
pas en surface. Si vous parcourez ce livre d'un rapide coup d'oeil,
vous y prendrez connaissance des faits, mais la nature essentielle
du sujet vous échappera, parce qu'il faut la rechercher
sous les mots mêmes qu'a employés l'auteur.
Lorsqu'il a écrit ce livre, Lithgow s'est
trouvé en face du problème qui se dresse toujours
devant ceux qui ont participé à des événements
historiques et qui écrivent leur propre histoire : il
fallait qu'il évite le double écueil de Charybde
et Scylla, avoir l'air de gonfler son récit ou le minimiser.
Il était plus conforme au caractère de Lithgow
de se rapprocher de Scylla, et c'est ce qu'il a fait. Il
y a cependant d'autres facteurs en cause. Le principal est que
les hommes qui sont engagés journellement dans le genre
de travail que fait Lithgow, ne voient pas les choses de la même
manière que nous. Ils n'ont pas la même unité
pour mesurer les événements. Ce n'est pas tellement
une question de sous-estimation, mais -que Lithgow me pardonne
-ils ne savent pas qu'on peut considérer ce qu'ils ont
fait comme quelque chose d'extraordinaire.
C'est là, je le crains, un point difficile
à faire admettre. Ce n'est certainement pas par manque
d'imagination ou de sensibilité. Il n'y a jamais eu de
bon pilote d'essais qui n'ait eu ces deux qualités au
plus haut degré. L'imagination et un jugement des plus
rapides sont en effet les qualités essentielles d'un pilote
d'essais. Les connaissances techniques et scientifiques peuvent
être enseignées en classe, l'aptitude au vol peut
être acquise par tous ceux qui ont le désir d'apprendre,
mais les qualités d'esprit et de coeur et la volonté
de vivre une véritable aventure mentale et physique, doivent
être innées.
Le pilote d'essai vit dans le vaste espace qui sépare
l'art de la science, et c'est probablement dans cette double
allégeance qu'il faut chercher la source de ses difficultés.
Il n'a jamais le sentiment d'avoir rendu justice à ses
deux maîtres et ne comprend donc pas pourquoi les profanes
considèrent qu'il a fait quoi que ce soit de remarquable.
En voici un exemple : la démonstration
de Farnborough en 1953 où Lithgow et Morgan ont prosterné
les foules à leurs pieds en passant ensemble le mur du
son sur deux chasseurs « Swift », et en finissant
par un passage à plus de onze cents kilomètres
à l'heure à trois mètres environ de la piste.
Ce fut une démonstration sensationnelle et inoubliable.
Lorsqu'il eut atterri, je trouvai Lithgow inquiet et déprimé
parce que les bangs du passage du mur du son n'avaient pas été
bien entendus dans l'enclos du public. Pour lui, cette après-midi
était marquée comme un échec, et rien n'aurait
pu l'en dissuader. A mes yeux, c'est cet effort vers une perfection
absolue et normalement impossible qui fait que les hommes comme
Lithgow considèrent pour rien ceux de leurs actes qui
n'ont pas atteint cette perfection. De là la différence
de leurs conceptions, le choix extrêmement prudent de leurs
mots, et cette sous-estimation de soi que nous appelons commodément
modestie.
Voilà pourquoi, lecteurs, vous devez
faire un petit effort , pour ne pas prendre ce livre à
la lettre. Il faut que vous examiniez un peu le dessous des mots
et fassiez effort d'imagination pour évaluer les exploits
de Lithgow, non pas selon l'échelle assez exceptionnelle
qui lui est propre, mais selon nos valeurs de tous les jours.
Il vous faut, en fait, remplacer le facteur Lithgow tout au long
de l'équation.
J'avoue que bien des fois en lisant ce
livre, j'aurais voulu secouer l'auteur pour en obtenir des mots
un peu plus flatteurs. Surtout lorsqu'il décrivait des
événements que je connaissais un peu et dont
je savais qu'ils cachaient beaucoup plus que ce que Lithgow voulait
bien laisser paraître.
Je donnerai, si vous le voulez bien, deux exemples.
Au chapitre VII, il nous raconte sa tentative,
couronnée de succès, de record des cent kilomètres
en circuit fermé sur le chasseur à réaction
« Attacker ». Il mentionne que la visibilité
était mauvaise, qu'il avait du mal à repérer
les jalons du parcours et qu'il avait. fallu des feux pour le
guider.
Or, il se trouve que j'assistai à cette
tentative de record, et, sans aller jusqu'aux extrêmes
de l'exagération journalistique, je dirai que la visibilité
était si mauvaise que c'était presque du brouillard.
Personnellement, je ne me serais pas risqué à faire
le tour du terrain dans un « TigerMoth ». Quand Lithgow
décolla, il disparut à la vue avant d'avoir atteint
la limite de l'aérodrome, et ses réapparitions
au cours du record se réduisirent aux brefs éclats
d'un halo métallique qui surgissaient çà
et là du brouillard. Je n'en dis pas plus à l'époque,
ou peut-être un ou deux mots en plus à la B.B.C.
le soir même du record; et plus tard Lithgow me confia
que ce n'est qu'après m'avoir écouté à
la radio qu'il avait pris conscience de la difficulté
de sa tentative. Mais le fait est que ce fut vraiment difficile.
Il existe d'ailleurs un film plutôt brumeux de la tentative
qui le prouve amplement.
Plus récemment, Lithgow établit un
nouveau record mondial de vitesse sur le « Swift-F-4
» à Tripoli, en octobre dernier. Je fus souvent
avec Lithgow au cours de cette expédition et j'ai connu
quelques-unes des difficultés et des désespoirs
qui l'assaillirent.
Les premiers circuits d'entraînement,
qui par la suite se trouvèrent être ceux qui furent
reconnus pour le record, furent couverts à une moyenne
de plus de mille cent soixante-quinze kilomètres à
l'heure à une altitude d'environ quinze mètres,
par un temps agité et une température de 100°
F. En raison du frottement de l'air, la chaleur dans le cockpit
devait être intolérable, et la tenue isolante de
Lithgow, spécialement conçue pour le tenir au frais,
le gênait dans tous ses gestes. De même pour le masque
à oxygène, qu'il dut tenir à la main. Tant
et si bien qu'il lui fut proprement impossible de voir les marques
de fin de course. Tout cela, il le mentionne brièvement,
comme de simples incidents ennuyeux, mais les journalistes professionnels
présents ne virent pas les choses de la même façon.
Je n'oublierai jamais Lithgow debout dans le bureau du hangar
qui abritait le « Swift » sur l'aérodrome
d'Idriss, juste après l'atterrissage. Il n'avait sur lui
que des pantalons et des chaussettes, et la sueur ruisselait
le long de son visage, de ses bras, de son corps. Dans une main,
il tenait une bouteille de limonade, et dans l'autre une cigarette.
Et ses deux mains, je suis sûr qu'il ne s'en rendait pas
compte, tremblaient sous la tension nerveuse et physique, tandis
qu'il dictait très calmement un rapport technique sur
les plus petits détails du vol, ponctuant ses phrases
en aspirant alternativement la paille de la limonade et la cigarette.
A partir de ce moment-là, et pour des jours
encore, Lithgow fut poursuivi par toutes sortes de malchances
: ennuis avec les appareils de chronométrage, caprices
diaboliques de la réchauffe au cours de ces essais sous
le Tropique. Finalement, quand tous ces obstacles furent vaincus,
les conditions météorologiques idéales qui,
jour après jour, avaient nargué un Lithgow impuissant,
furent balayées en une nuit par quelque génie satanique
du désert. Le vent de ghibli soulevait tempête de
sable sur tempête de sable, pour permettre à un
appareil américain d'être enfin prêt à
arracher son record au « Swift ».
En outre, d'interminables réunions avaient
lieu pour décider s'il valait mieux annoncer les parcours
d'entraînement comme un record, ou s'il fallait faire confiance
à la chance et améliorer le temps. Il s'agissait
essentiellement, comme diraient les joueurs de poker, de savoir
s'il fallait « tenir ou céder ». A tout hasard,
on décida de « tenir ». Ce fut une sage décision,
en ce sens qu'elle apporta les honneurs du record mondial à
Lithgow et au « Swift »; mais ce fut aussi une dure
décision à prendre, d'où l'on sortit à
bout de nerfs. Pendant tout ce temps, je n'ai jamais vu Lithgow
se mettre une fois en colère, et pourtant c'était
lui qui avait à fournir le plus gros effort.
J'espère que, d'après ce qui précède,
le lecteur conclura que lorsque Lithgow va jusqu'à décrire
quelque chose comme « ennuyeux » ou « difficile
», on peut en déduire, sans risque de se tromper,
que tout autre aurait choisi des épithètes différentes.
Je suis sûr que vous serez angoissé
par le récit du sauvetage de Lithgow; quand, n'ayant eu
d'autre recours, une nuit, que « d'aller à la mer
»; et que ses collègues du squadron et du porte-avions
ignoraient tout de l'accident. Ses chances d'être secouru,
c'est évident pour quiconque connaît un peu la mer
et la navigation, étaient à peu près les
mêmes que celle de réunir treize atouts dans la
même main, au whist. Lithgow les avait bien évaluées
alors qu'il se débattait dans l'eau. Il n'en avait pu
tirer qu'une seule conclusion, celle qu'aucun homme n'aime tirer.
Pourtant, lorsqu'on lit cet incident, il se dégage très
nettement du récit dépouillé ce calme et
cet équilibre qui, durant des jours et des jours, devaient
faire notre admiration quelques années plus tard à
Tripoli. Un homme qui peut attendre, presque gaîment, plongé
jusqu'au cou dans l'océan, la chance (une sur un million)
qui le tirera de là, fera toujours preuve, j'imagine,
du même calme olympien, quelles que soient les circonstances.
Il y a encore, il me semble, un aspect de ce livre
qu'il faut souligner : ce sont les limites imposées par
la Sécurité. Depuis quelques années, Lithgow
a été mêlé jour après jour
à la mise au point des chasseurs « Swift »
et « 525 ». Sur ce point, moi aussi, je suis forcé
de demeurer discret., mais vous pouvez être certains que
ce travail n'a pas été tout seul. Bien des vols
faits par Lithgow, surtout dans les premiers jours des ailes
en flèche et des avions supersoniques, furent des actes
d'héroïsme qui devront rester ensevelis dans les
dossiers étiquetés « Secret », pour
des années encore.
Il y a encore beaucoup de choses que je voudrais
dire sur Lithgow en tant qu'homme et pilote, mais je dois tenir
compte du fait qu'il me faudra le rencontrer de nouveau, après
qu'il aura lu cette préface; or, lorsqu'on le provoque,
il sait aussi vous décocher un trait magistral. Quoi qu'il
en soit, le caractère de l'homme ne disparaît pas
totalement derrière son refus obstiné de s'attribuer
le mérite de quelques-uns des immenses services qu'il
a rendus à l'aviation britannique.
Appréciation : *** |