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le grand Cirque Souvenir
d'un pilote de chasse français dans la R.A.F.
Auteur : Pierre CLOSTERMANN
Editeur : FLAMMARION
Année : 1948
Sujet : Histoire
Présentation : PIERRE CLOSTERMANN. Né en 1921, fils
d'un diplomate, Pierre Clostermann était à peine
âgé de dix-neuf ans lorsqu'en juin 1940 il gagna
Londres tandis que son père rejoignait à Brazzaville
les Forces françaises libres. Il était déjà
un aviateur exercé et fut affecté au groupe de
chasse Alsace. Dès lors son palmares va s'enrichir de
jour en jour.
Il termine la guerre avec 33 victoires homologuées et
5 probables sans compter une trentaine d'avions endommagés
ou mis hors de combat, 72 locomotives, 225 camions, 5 chars,
1 sous-marin, 2 vedettes lance-torpilles détruits, ce
qui lui vaut le titre de PREMIER CHASSEUR DE FRANCE.
Grand officier de la Légion d'Honneur, Pierre Clostermann
a été élu à la seconde Assemblée
Constituante comme représentant du Bas-Rhin.
Enfant unique, dix mille kilomètres
m'ont séparé pendant quatre ans, de mes parents,
Français Libres comme moi.
De Londres à Brazzaville, la correspondance
était difficile, les lettres sévèrement
censurées sur tout ce qui touchait les activités
militaires.
L ' espace restreint de la carte-lettre aérienne
mensuelle autorisée, ne se prêtait guère
à la description de ma vie en Angleterre avec la R. A.
F. et les Forces Aériennes Libres.
Et pourtant je voulais évoquer pour
mon père et ma mère, cette vie nouvelle, si pleine
d'émotions, d'imprévu - ingrate, mais très
belle. Je voulais qu'ils puissent la revivre, minute par minute
- même si je ne revenais pas pour la raconter...
C'est ainsi que, par le truchement d'un gros
cahier d'ordonnance de l'Air Ministry, frappé du chiffre
du roi d' Angleterre, G. R., tous les soirs je leur ai décrit
ma journée.
Une vieille enveloppe collée à
la couverture contenait mon testament - un peu ridicule, car
les « mercenaires » du général de Gaulle
n'avaient à coucher sur le papier, en guise de biens temporels,
que leur foi dans la France et leurs rêves précaires
d'avenir.
Sur la page de garde, j'avais écrit:
,
« ln case something should happen to
me (either to be killed or posted missing) I want this book to
be sent to my Father, capitaine Jacques Clostermann French Headquarters,
Brazzaville » (1) 10-3-1942.
avec l'espoir qu'au cas où je serais
tué ou porté disparu, ce cahier leur parviendrait.
Et je voulais que mes parents, en le recevant, en le lisant,
retrouvent ma présence et ma voix, comme une consolation.
A toute heure de la journée ce cahier m'a
accompagné - froissé par le poids de mon parachute
dans mon casier de pilote, taché de thé sur la
table du mess, ou couché à mes côtés
sur l' herbe du dispersaI (2) pendant les longues et monotones
heures d'alerte.
Des Iles Orcades à la Cornouailles, du Comté
de Kent à l' Écosse, de la Normandie au Danemark
en passant par la Belgique, l' Allemagne et la Hollande, ces
cahiers - car à la fin de la guerre ils étaient
trois -m'ont suivi partout.
Le destin, qui a été si cruel
pour tant de mes camarades, a voulu que je survive à quatre
cent vingt missions de guerre.
Un beau jour, la tragédie terminée,
j'ai pu conter de vive voix, à mon père l'histoire
de ces quatre années.
Deux ans ont passé.
J'ai eu, avec les rares survivants des F. A.
F. L., l'ingrate mission de visiter les farnilles de nos amis
qui n'étaient pas revenus - de chercher à leur
donner l' amère consolation du récit de la vie
de leurs enfants.
Mais nous n'avons pas pu les toucher tous.
Nous avons aussi rencontré beaucoup
de Français qui n'avaient pas la moindre notion de ce
qui s'était passé de l' autre côté
de la Manche - ou qui préféraient continuer à
l'ignorer...
Mais nous sentions également que d'
autres Français cherchaient, eux, à le savoir,
pour y trouver peut-être de quoi soutenir leur espérance
et leur foi.
C'est pour eux tous que ces pages sont publiées.
Avec mélancolie, nous les avons relues,
mon ami Jacques Remlinger et moi.
Changez les dates, quelques circonstances accessoires,
et c'est l' existence quotidienne de cinq cents jeunes aviateurs
français que vous revivrez. N'importe lequel de mes camarades
des Forces Aériennes Françaises Libres retrouvera
les mêmes épisodes en feuilletant son carnet de
vol.
Je demande au lecteur de ne pas y chercher
une oeuvre littéraire. J'ai simplement consigné
au jour le jour, des impressions, des instantanés photographiques,
des images gravées au passage dans ma mémoire.
Il aurait fallu un bien grand talent pour faire
revivre sous une forme à la fois littéraire et
vraie la carrière d'un pilote de chasse de cette guerre
! Et c'est justement parce que c'était vrai, parce que
c'était tout chaud de l'action, que je n'ai pas voulu
retoucher ces cahiers.
J'ai tenu à conserver les expressions
anglaises, certains mots qui frisent le barbarisme - je ne pouvais
quand même pas les renier , puisque nous les avons eus
dans la bouche quatre années durant !
L' anglais était de rigueur à
la radio, avec toute sa floraison si pittoresque de mots de code
et d'argot de la R. A. F. Comment traduire, autrement qu'en notes
au bas d'une page, ces conversations radiotéléphoniques,
sans leur faire perdre leur vigueur et
leur concision .
De par leur origine et leur conception, ces
pages sont une sorte de reportage.
Mais il y avait une autre difficulté.
La vie d'un pilote de chasse est monotone
dans l'action - les sweeps (3), les longues heures d'alerte,
les missions de bombardement en piqué, de chasse libre,
d'escorte ou de mitraillage se succèdent, toutes semblables.
Rien ne ressemble plus à un combat aérien - à
part quelques détails géographiques ou tactiques
secondaires - qu'un autre combat aérien !
Aussi a-t-il été nécessaire
de faire un choix parmi des actions typiques de chaque époque
de cette guerre. Je me suis contenté simplement, pour
les lier entre elles de façon intelligible, de résumer
rapidement les faits et les périodes intermédiaires.
Certaines réflexions ou descriptions
choqueront peut-être par leur franchise ou leur cruauté.
Mais il ne faut pas oublier que ces pages ont été
écrites pour mon père et ma mère qui étaient
mes amis et mes confidents auxquels je pouvais exposer à
coeur ouvert mes faiblesses, mes amertumes, mes joies ou mes
enfantillages. Évidemment, j'ai longuement hésité
devant certaines pages, par une sorte de pudeur intime - mais
la vérité eût souffert de ces suppressions.
Et puis, après tout, nous étions tous des gosses,
avec les mêmes réactions devant le danger, les victoires
et les injustices... Ce que j'exprime, nous tous, les F. A. F.
L., nous l'avons vécu, senti ou pensé.
A la fin de ce livre, j'ai ajouté des notes qui permettront
de suivre plus facilement - sur un plan purement technique -
les récits. Les statistiques, les données numériques,
les documents en général, proviennent tous de source
officielle, et sont pour la plupart inédits. Puissent
ces pages et ces photos aider celui qui entreprendra de conter
en détail l' histoire atroce mais merveilleuse de cette
longue guerre.
Puissent-elles aussi amener certains à plus
de discrétion ou de pudeur dans leurs jugements, à
se rappeler que même si les aviateurs Français Libres
n'ont pas de monuments, de places, de rues ou de stations de
métro, ils n' en ont pas moins inscrit dans le ciel beaucoup
de gloire très pure et accru de beaucoup le prestige de
la France.
Puissent-elles enfin enlever à d'autres ce
complexe d'infériorité qui les porte à honorer
les victoires de nos alliés, et à ignorer complètement
les nôtres.
C' est mon seul désir, et ce sera ma fierté.
PIERRE CLOSTERMANN
N° MIe 30.973
des Forces Aériennes Françaises Libres.
(I) Au cas où je serais tué
ou porté disparu, je désire que ce livre soit envoyé
à mon père, le capitaine Jacques Clostermann, Quartier
Général Brazzaville -10-3-1942.
(2) Hutte où les pilotes s'abritent
entre les vols.
(3) Sweep : opération offensive
de chasse lointaine en territoire ennemi.
Appréciation
: ***** |