Texte : Renault et l'Aviation par Gilbert HATRY Editions
JCM |
AIR BLEU
L'idée
d'une liaison postale aérienne rapide entre les villes
française n'était pas originale. Déjà,
en 1923, Didier DAURAT l'avait avancée et, dès
1926, Louis Breguet drainait le courrier de la région
du nord, le rassemblait sur son terrain de Douai-la-Brayelle
por le transporter à Paris par avion spécial. Contre
toute attente cette initiative n'avait pas connu de développement,
les efforts ayant surtout porté sur les lignes extra-continentales.
Or, des pays voisins, pourtant venus plus tardivement à
l'aviation, avaient tissé au cours des années de
véritables toiles d'araignée de lignes nationales.
En Allemagne, par exemple, où 15 lignes intérieures
fonctionnaient régulièrement, de même en
Italie qui en comptait 16. Vers la fin de 1934, Beppo de Massimi
qui avait, aux côtés de Pierre Latécoère,
participé à la création de l'Aéropostale,
reprend l'idée à son compte.
"Nous avons pensé, écrivait-il dans son projet,
que la création de lignes aériennes à l'intérieur
de la France s'imposait, car c'est au moment où la situation
économique de la France rend les rapports entre les diverses
branches de l'activité moins fréquents et plus
rudes, qu'il paraît utile de les stimuler par les moyens
que le progrès a mis à notre portée : l'avion.
Réduire au minimum le temps dans les relations entre commerçants,
industriels ou autres, garder à la correspondance son
caractère confidentiel et ne point imposer à l'usager
une taxe prohibitive, là est, croyons-nous, le secret
d'un stimulant des affaires et tel est le but à atteindre.
"Il s'agit donc d'organiser un service de poste aérienne
en France, et de développer par la rapidité des
communications, les relations d'affaires et les échanges
d'idées entre Français en les rendant plus faciles.
" Aucun moyen actuel ne répond aux besoins du moment,
ni le chemin de fer, ni l'automobile. Pour la poste ces deux
moyens de transport sont désormais trop lents. Quant au
téléphone et au télégraphe, ils n'offrent
aucune garantie de discrétion et, de plus, leur tarif
est trop élevé.
"L'Administration postale a bien créé l'enveloppe
pneumatique, mais elle ne fonctionne que dans la Seine et la
Seine-et-Oise et ne s'étend pas à la province.
La lettre 'express' enfin, dont le prix est de 3 francs, n'offre
qu'un avantage de temps insignifiant et ne justifie pas un pareil
tarif.
"La solution du problème nous a donc paru se trouver
dans la formule suivante: établir un type de correspondance
aussi rapide que le télégramme, aussi discret que
la lettre, avec les mêmes possibilités de détails
et de précisions et ce, à un tarif égal
à celui du télégramme le moins coûteux
qui est de 3 francs pour 10 mots. Sa réalisation est facile
par une étroite liaison entre l'avion d'une part et les
moyens les plus rapides dont peut disposer l'Administration des
Postes, pneumatique dans la capitale, motocyclette en province.
" Une pareille liaison permettrait à un habitant
de Paris de répondre à une lettre trouvée
dans son courrier le matin vers 9 heures. Le destinataire de
province recevrait son message au début de l'après-midi
et, s'il y avait urgence, l'avion en rentrant pourrait rapporter
la réponse le soir même par une lettre distribuée
encore avant la fermeture des bureaux.
"Le projet prévoyait l'établissement de sept
lignes retiant Paris à Lille, Le Havre, Nantes, Bordeaux,
Toulouse, Marseille et Strasbourg.
Mais il restait des oppositions à vaincre. D'abord celle
de Louis Bréguet "vivement ému " disait-il,
"en tant que propagandiste de l'aviation postale à
l'intérieur de la France, comme membre du Conseil d' Administration
d' Air-France et comme industriel ayant des intérêts
importants dans le Nord de la France ". Ensuite celle d'
Air-France dont l'Administrateur-délégué
estimait qu'il s'agissait d'une idée du groupe Latécoère
"sans doute pour se venger du scandale de l'Aéropostale
".
Un autre obstacle se dressait devant le promoteur: le ministre
des Postes; le transport du courrier étant un monopole
d'État, une autorisation était nécessaire.
Et Beppo de Massimi passe aux actes. Fin 1934, il crée
la Société Anonyme Air-Bleu ainsi dénommée
en raison de la couleur des enveloppes et feuillets de correspondance:
bleu clair, barrée sur l'angle supérieur gauche
d'une bande étoilée bleu-clair sur bleu-foncé.
Le capital social de 5 millions de francs était constitué
par 10 000 actions de 500 francs. La Société Anonyme
des Usines Renault souscrit immédiatement 1 000 actions
et devient ainsi le principal actionnaire aux côtés
notamment des Messageries Hachette et de la Compagnie des Chargeurs
réunis.
Le 3 janvier 1935 une convention est passée avec le ministre
des P. T. T. aussitôt ratifiée par le ministre de
l'Air et approuvée le 8 janvier par le Conseil des Ministres.
Par cette convention, Air-Bleu obtenait l'exclusivité
de transport des correspondances rapides entre Paris et les différentes
villes de province et une rétribution de 200 francs par
kilo transporté; ces garanties étant acquises pour
cinq années. En contrepartie, Air-Bleu déposait
à la Caisse des Dépôts et Consignations un
cautionnement de 500 000 francs remboursable par septième
au fur et à mesure de la mise en exploitation des lignes
prévues.
On peut se demander pourquoi Louis Renault s'est engagé
dans une affaire que ni Louis Bréguet, ni Air-France,
ne croyaient rentable. L'argument décisif qui dut le convaincre
fut, sans doute, que la nouvelle compagnie n'utiliserait que
des Simoun, l'avion construit par l'ingénieur Marcel Riffard
du groupe Caudron-Renault. Certes, cet appareil n'avait encore
aucune performance à son actif, mais le premier profit
que Louis Renault va retirer de l'entreprise c'est l'apport des
pilotes d'Air-Bleu dirigés par Raymond Vannier qui, par
les modifications apportées, vont activer la mise au point
du Simoun.
Le second profit, c'est l'impact publicitaire. Selon Didier Daurat
qui sera le troisième directeur d'Air-Bleu après
Paul Routy successeur de Beppo de Massimi, Louis Renault imagine
" d'intéresser tous ses directeurs d'Agences régionales
à la vie de la ligne. Ceux-ci conduisaient leurs clients
aux aérodromes et la régularité des escales
constituait la meilleure des propagandes pour la qualité
des fabrications Renault ".
Le 10 juillet 1935, en présence du général
Denain, ministre de l'Air , et de Louis Renault, le ministre
des P .T. T .Georges Mandel remet symboliquement à Raymond
Vannier le premier sac de courrier à destination de Bordeaux.
Avec une flotte de six Simoun, la longueur du réseau exploité
atteindra 2294 kilomètres à la fin de 1935 et 2
656 kilomètres au cours du premier semestre de 1936.
Pourtant le grand public qui semble ignorer les possibilités
qui lui sont offertes, boude le système. Les milieux d'affaires
qui le connaissent, ne sont guère plus enthousiastes.
A cause du prix, peut-être, la lettre par avion coûte
en effet 2,50 francs contre 0,50 franc pour le pli ordinaire.
Air-Bleu a beau modifier ses horaires pour les aligner sur les
heures d'ouverture des bureaux de poste, rien n'y fait. Et le
2 août 1936, les services sont interrompus.
Des pourparlers s'engagent alors avec le ministère des
P .T .T. et Air-France. En 1937, une société tripartite
est formée et les actions réparties à raison
de 52 % pour l'État, 24 % pour Air-Bleu qui fait apport
de son matériel.
Le 7 juillet 1937, avec 8 pilotes et 12 appareils ( 11 Simoun
et 1 Goêland), trois services reprennent: Paris-Bordeaux-Mont
de Marsan-Pau; Paris-Toulouse-Perpignan; Paris-Clermont-Ferrand-St-Étienne-Lyon-Grenoble.
A la fin de l'année 37, 946 kg de poste auront été
acheminés et l'année suivante 236 949 kg.
Malgré ces résultats prometteurs, Air-Bleu est
encore très fragile et, la guerre survenant, elle disparaîtra
définitivement en 1940, absorbée par Air-France. |