33 HEURES POUR PARIS
Auteur : Charles LINDBERGH
Editeur :
Amiot-Dumont
Année :
1954
Sujet :
Souvenirs
Présentation :
  
 Ce livre relate la conception, la préparation et l'exécution du premier vol sans escale accompli entre l'Amérique et l'Europe. Le récit en est demeuré quatorze ans en gestation. Commencé à Paris, durant l'hiver de la menaçante année 1938, le manuscrit n'a été achevé que sur le rivage de Scotts Cove, devant Long Island Sound, en l'an 1952, guère moins inquiétant.
   Les chapitres qu'on va lire ont été rédigés et revisés dans les conditions les plus diverses, variant de la précarité d'une tente d'escadrille de chasse dans la jungle de la Nouvelle-Guinée au calme d'un foyer familial du Connecticut aussi bien que dans l'ambiance des différentes heures du jour : midi, minuit et l'aube. Il m'est souvent arrivé de noter en haut d'une feuille l'endroit où je me trouvais lors de sa rédaction ou de sa revision. En parcourant rapidement le manuscrit, je note au hasard : à bord de l'Aquitania pendant la traversée de Cherbourg à New-York ; Army and Navy Club, Washington; avec les Marines, sur un atoll des Marshall ; à bord d'un bombardier revenant du pôle nord magnétique; à la résidence du général Partridge à Nagoya (Japon) ; dans une roulotte de tourisme aux Florida Keys ; dans une base aérienne d'Arabie ; garé au bord d'une route des Alpes italiennes ; campé dans les montagnes allemandes du Taunus; chez les Carrel, à l'île de Saint-Gildas.
   Il m'a fallu, pour les premiers brouillons, faire tout particulièrement appel à ma mémoire, car le rédaction n'en fut commencée que onze ans après les événements. Je ne disposais pas d'archives complètes à l'époque et, par la suite, il ne fut pas possible d'emporter les documents partout où le manuscrit m'accompagna.
  Explorer sa mémoire, c'est un peu comme lorsque, le soir, du camp établi au sommet d'une colline, on cherche à reconnaître la route parcourue pendant la journée en y projetant un puissant faisceau lumineux. Celui-ci n'éclaire que certains des traits du paysage traversé; beaucoup d'autres, infiniment plus nombreux, demeurent dans l'ombre. Il en résulte une certaine imprécision, voire, de loin, certaines déformations. Mais la mémoire présente des avantages qui compensent ses défaillances. En éliminant les détails, elle clarifie le tableau d'ensemble. Comme le pinceau d'un artiste, elle met davantage l'accent sur la réalité vivante que sur la précision photographique.
  Les documents d'archives, d'autre part, jettent de la lumière sur certains points et ressuscitent en votre esprit les anciens problèmes. Ces documents sont relativement spécialisés, parfois contradictoires, souvent incomplets. Ils rétrécissent la perspective en plaçant exagérément au premier plan les secteurs qu'ils concernent. Mais ils rachètent par leur précision leur manque de profondeur. Il m'est arrivé de récrire entièrement certains passages à la lueur de documents sortis de greniers, de fichiers ou de bibliothèques.
  Dans les chapitres qui suivent, j'ai condensé conversations et articles de presse pour éliminer des détails fastidieux. Pour les télégrammes, j'ai cité les originaux chaque fois que j'ai pu me les procurer et les ai reconstitués de mémoire dans le cas contraire. Du fait qu'il est impossible de rétablir exactement les démarches de la pensée, j'ai dégagé du récit les rappels du passé pour mieux donner l'impression de la vérité. Tous les incidents relatés dans le présent livre sont réels, et j'ai essayé de ne pas les trahir par les mots. Le journal de bord du S pirit of St. Louis a été dérobé par une des personnes qui rompirent les barrages à l'aérodrome du Bourget. Les chiffres donnés en tête des chapitres de la deuxième partie ont été reconstitués d'après les diagrammes et les autres documents. Ils sont certainement très proches de la vérité, mais il subsiste non moins certainement de légers écarts.
  Au moment où le Spirit of St. Louis s'envola vers Paris, l'aviation était en pleine évolution; elle sortait du stade de la création purement inventive pour entrer dans celui de l'utilisation pratique. Certains enthousiastes parlaient encore de la « conquête de l'air » ; les règles de sécurité étaient parfois inverses de ce qu'elles sont aujourd'hui. Quand un pilote rencontrait du brouillard, il tournait les yeux vers la terre et non vers ses cadrans, et la subtilité de ses sens avait autant d'importance que celle de son cerveau. La possibilité d'effectuer un atterrissage de fortune dans un pré de faible étendue justifiait un sacrifice important sur la vitesse de croisière ; les avantages offerts du point de vue de la visibilité par un poste de pilotage placé sur l'avant apparaissaient plus que compensés par ceux que procurait un emplacement rejeté sur l'arrière, du point de vue des risques courus lors d'un atterrissage forcé. Le monoplan menaçait cependant très sérieusement la position acquise par le biplan. Les pilotes les plus épris de progrès mettaient au point la technique du vol aux instruments. La promesse de pouvoir rester en liaison avec la terre par la radio suscitait de vastes espérances parmi les aviateurs.
   Je croyais, avec tous mes camarades, que l'avion était promis au plus brillant avenir. Cependant, quelque extravagantes que parussent mes anticipations à l'époque, elles ont été de beaucoup dépassées. Toutes les limitations qui nous bridaient voici un quart de siècle ont disparu dans les domaines de la vitesse, de la distance franchissable, de l'altitude, de la puissance des moteurs, des dimensions des appareils, de leurs possibilités tant économiques que militaires. La science a donné pour successeurs aux fragiles avions des Le Bris, des Lilienthal et des frères Wright, de robustes machines métalliques capables de transporter les cargaisons les plus diverses, des orchidées à la bombe atomique. Des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants volent chaque jour à une vitesse très supérieure à celle des pilotes de course de 1927. Dans le monde entier, les agences de voyages vendent des billets pour traverser les océans par la voie des airs, à des prix comparables à ceux des paquebots. Les lignes aériennes transportent des millions de passagers sans accident. Les moteurs ont décuplé leur puissance. Les équipages militaires volent régulièrement à des altitudes dépassant le record mondial de l'époque.
   Nous autres, aviateurs, avons miraculeusement réussi. Nous avons atteint tous nos objectifs et les avons même dépassés. Aujourd'hui, nous vivons nos rêves d'hier et en formons d'autres. Nos vues d'avenir comportent l'utilisation des fusées et les vols supersoniques. Nous parlons de franchir les espaces interplanétaires comme nous parlions naguère de traverser les océans. Mais, contrairement à ce qui se passait jadis, nos rêves de demain sont troublés par les réalités d'aujourd'hui. Dans ce monde nouveau, presque supra-humain, nous découvrons d'inquiétantes imperfections. Nous avons vu l'aéroplane, auquel nous avions voué notre vie, détruire la civilisation qui l'avait créé. Nous sentons que la valeur technique même de nos appareils menace le caractère des hommes qui les construisent et les manoeuvrent.
   Comme les autres hommes étrangers au monde de l'aviation, nous découvrons que nous parcourons un cercle vicieux dans lequel la machine, dépendante de l'homme moderne pour son invention, a rendu celui-ci dépendant d'elle pour améliorer constamment sa sécurité, voire sa vie. Nous commençons à nous demander dans quelle mesure la vitesse des fusées et les radiations de l'énergie atomique affecteront les corps et les esprits qui, en dernière analyse, mesurent la valeur véritable de l'effort humain. Nous sommes en face du problème essentiel, qui est de savoir comment utiliser les inventions de l'homme au bénéfice de celui-ci. Mais de telles considérations sortent du cadre de mon récit, qui prend fin le 21 mai 1927, époque à laquelle nous avions encore pour but la Conquête de l' Air .
                                                                   C. A. L.

Appréciation :
***
 

 



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Dernière mise à jour le 23 novembre 2000