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L'ARMEE DE L'AIR
Auteur : Hubert HAENEL et René PICHON
Editeur : PRESSES UNIVERSITAIRES
DE FRANCE que sais-je? n° 2346
Année : 1987
Sujet : Histoire
Présentation :
Trois adjectifs s'imposent à l'esprit de qui s'essaye
à qualifier l'armée de l'air : jeunesse, technicité,
disponibilité.
Cette flatteuse trilogie traduit un état de
fait ; telle est en effet l'image que l'aviation militaire donne
d'elle-même mais, dans le même temps, elle rend compte
d'une impérieuse nécessité, puisque l'armée
de l'air ne peut se situer qu'à l'avant-garde ou être
inopérante.
Jeune, elle l'est tout d'abord dans son existence.
Consacrée par les textes il y a un demi-siècle
à peine, elle a dû, dans ce laps de temps, assimiler
l'expérience acquise au fil des siècles par les
autres armées et imposer sa propre identité. En
créant son image elle a imprimé une marque spécifique
à ceux qui la servent. La jeunesse dont elle s'honore
est aussi celle de ses cadres soumis à des conditions
de service physiquement éprouvantes et que les statuts
rendent jeunes encore à la vie civile. Elle est encore
un état d'esprit fait d'un mélange singulier de
rigueur militaire et de critique raisonnée fondée
sur la pratique des sciences et techniques.
L'année de l'air se veut et se sait
à la fois militaire et technicienne. Plus que toute autre
force, elle tire sa puissance de la machine avec laquelle l'homme
est en symbiose parfaite, fait corps, toute défaillance
de l'un condamnant l'autre. Nulle part autant que dans les forces
aériennes l'outil de combat, l' « appareil »,
est perçu comme un véritable partenaire. D'ailleurs,
l'imagerie populaire ne s'y trompe pas qui assimile le pilote
au « chevalier du ciel ». En un temps où chaque
jour apporte de nouveaux progrès, l'armée de l'air
ne peut être efficace donc crédible que si le matériel
dont elle dispose affiche des performances au moins équivalentes
à celles des équipements de même catégorie
en service dans les autres armées. Or, ces équipements
ne cessent d'étendre les effets de l'intelligence humaine
qu'ils prolongent et relaient. Comment par exemple le pilote
d'un chasseur évoluant à très basse altitude
pourrait-il à la fois diriger sa machine et, à
chaque instant, confronter ses indicateurs de vol au tracé
visuel et radar d'une route qu'il aurait préalablement
mémorisée ?
Pareille entreprise dépasse les capacités
humaines mais la technique la rend possible.
Dynamique et technicienne, l'armée de
l'air doit l'être sans aucun tempérament pour répondre
à la troisième qualité que l'on attend d'elle
et qui conditionne même la survie des autres forces: la
permanence dans l'aptitude à l'engagement. La dissuasion
nucléaire et la défense aérienne ne peuvent
connaître aucune solution de continuité, leur permanence
s'accompagne d'un autre trait: elles ne connaissent ni progressivité
ni distinction entre temps de crise ou de paix. Pour les hommes
qui en ont la charge, chaque instant est celui du plus grand
danger, de la plus extrême vigilance. Nul doute, dès
lors, qu'une telle posture ne puisse être maintenue qu'avec
un personnel hors pair et des moyens de qualité.
Cette double condition est-elle remplie ? S'agissant
du personnel, il n'est pas contesté que la réponse
soit positive. En témoigne par exemple, et au niveau le
plus modeste, l'engouement des assujettis au service national
pour cette armée. En revanche, pour ce qui concerne les
équipements, une réponse plus nuancée s'impose.
L'armée de l'air dispose certes d'un matériel de
très haute technologie, mais en quantité parfois
insuffisante. Ainsi, un pays dont les intérêts sont
de dimension planétaire et qui, pour les défendre,
a constitué une puissante force d'action rapide peut-il,
par l'absence de moyens de transport à longue distance,
peser sur les capacités de déploiement de cette
force ? Ce même pays peut-il longtemps endurer une faiblesse
importante dans son système de défense aérienne
? Ces deux questions appellent bien évidemment la réponse
négative que lui ont apporté les pouvoirs publics.
Si la question reste aujourd'hui posée, ce n'est pas faute
d'un consensus sur les dispositions à prendre mais plus
précisément parce que plusieurs options techniques
sont ouvertes et que leurs implications tant financières
qu'économiques nécessitent de délicats arbitrages.
La nécessité d'une action dans ces domaines étant
éprouvée, il importe qu'elle soit bientôt
entreprise.
Mais alors, l'armée de l'air aura-t-elle
trouvé sa juste place dans l'appareil national de défense
? Nombreux sont, sans doute, ceux qui rêvent pour elle
d'une plus large part, d'une flotte portée à 600
avions de combat, et donc plus à même d'assumer
simultanément les missions qui lui sont assignées.
N'est-il pas, en effet, paradoxal que l'aviation de combat française
se situe dans l'échelle des puissances moyennes alors
que cette aviation est, avec celle des deux Grands, la seule
à présenter une double capacité nucléaire
et conventionnelle et que, de surcroît, l'espace aérien
qu'elle défend est - après celui de l'URSS - le
plus vaste d'Europe ? Si le législateur a plafonné
à 450 le nombre d'avions de combat en ligne, c'est précisément
parce que les forces aériennes stratégiques obèrent
une part significative des crédits disponibles. La disparition
vers la fin du siècle des deux composantes - terrestre
et aérienne - des forces nucléaires placées
sous responsabilité de l'armée de l'air est-elle
de nature à modifier cette situation ? Il semble bien
que non car les armées sont à la veille d'un bouleversement
qui projettera la « troisième dimension »
jusqu'à l'espace. De même que le « fait aérien
» s'est imposé au XXe siècle, le «
fait spatial » devrait constituer la novation des prochaines
décennies. Les techniques qu'il mettra en reuvre sont
aujourd'hui balbutiantes mais déjà leur développement
requiert des moyens financiers impressionnants qui, sans doute,
laisseront une place limitée au renouvellement des avions
de combat. Demain donc, l'armée de l'air pourrait présenter
un double visage: celui de l'espace que l'homme commanderait
depuis le sol et. celui plus conventionnel de l'environnement
aéro-terrestre du corps de bataille dont la responsabilité
pourrait d'ailleurs incomber aux forces terrestres. Ce ne sont
là cependant que possibilités ou perspectives que
les faits pourraient infirmer. En revanche, dans sa configuration
actuelle et pour plusieurs années encore, il ne fait aucun
doute que l'armée de l'air ait à couvrir les autres
forces, à leur donner le temps et l'espace nécessaire
à leur engagement. Cette mission qu'elle assume jour après
jour est essentielle à la survie du pays et à la
crédibilité de sa politique de dissuasion.
Il est donc impératif que,quoi qu'il
arrive, le pays consacre à cette armée des moyens
en nombre et qualité suffisants. Ainsi pourra-t-elle pleinement
assumer son rôle de « sentinelle de la liberté
».
Appréciation : *** |