TROIS DE L'AVIATION
Auteur : Commandant Pierre PAQUIER
Editeur :
EDITIONS DIDIER
Année :
1943
Sujet :
Histoire
Présentation :
                  
Respectueux de la tradition et aussi parce que ce livre a été écrit à mon instigation, le commandant Pierre Paquier, son auteur, m'a demandé une préface.
   J'ai accédé bien volontiers à son désir, car je connais , et j'admire son talent, persuadé toutefois que d'autres, auxquels le poste tenu a donné une plus large vue d'ensemble sur les opérations aériennes de la guerre 1939-1940, auraient été plus qualifiés que moi.

Trois de l'Aviation, c'est un triptyque élevé à la mémoire de nos morts de la guerre 1939-1940, de tous ceux du personnel navigant qui, luttant dans des conditions d'infériorité numérique et technique à l'heure actuelle suffisamment connues -.situation qui aurait pu conduire notre armée de l'air à un écrasement à peu près total dès le début - ont donné leur vie, au cours de combats le plus souvent disproportionnés, pour la gloire de leur arme et de leur pays.
 Pour reprendre un mot du maréchal Pétain, ils étaient convaincus que l'Aviation était " l'arme de toutes les audaces " et qu'elle se devait de " conserver les traditions d'énergie et de gloire de la France ". Nourris des exploits de leurs aînés au cours de la Grande Guerre, dont le souvenir était pieusement gardé dans leurs escadrilles, exaltés par la leçon sublime qui leur avait été léguée par le plus grand de tous, le capitaine Guynemer, dont ils savaient par coeur l'éblouissante citation qui leur était lue chaque année, le 11 septembre, leur sacrifice, on peut en être certain, a été consenti librement, sans regarder en arrière, avec la seule volonté d'accomplir la mission qui leur avait été fixée.
   Qu'il me soit permis de relater ici un souvenir personnel. C'est le dimanche 27 août 1939, sur le terrain de Dijon-Longvic, où j'ai le grand honneur de commander la 22e brigade de chasse. Il est un peu plus de 16 heures; les échelons roulants des six groupes qui constituent la brigade ont été dirigés dans la matinée sur leurs terrains de concentration; les pilotes sont restés toute la journée à proximité immédiate de leurs appareils, prêts au départ qu'ils sentent imminent. Je viens de recevoir par téléphone, du colonel chef d'état-major de la 1re région aérienne, l'ordre d'envoyer les échelons volants sur leurs destinations respectives. J'ai convoqué les commandants d'escadre et les commandants de groupe à mon bureau, pour leur transmettre cet ordre.
J'ai la conviction quc la guerre nc peut plus être évitée; jc ne peux m'empêcher de douter de l'efficacité de la résistance des armées polonaises, de penser que la Grande-Bretagne consacrera le meilleur de ses forces à la défense de son île; et je compare les possibilités de nos adversaires, en aviation de chasse, avec les nôtres.
   Je sais que les pilotes de la brigade feront sans hésitation tout leur devoir, davantagc à l' occasion; mais je suis étreint par l'angoisse en pensant au nombre de leurs adversaires et à l'écart de performances et d'armement qui sépare les Morane 406, - que nos chasseurs ont eu tant de joie à recevoir récemment, - des Messerschmitt 109 et 110 qui équipent la chasse allemande. Je juge que cet écart est trop grand, quc malgré la valeur professionnelle indiscutable de nos pilotes la lutte sera par trop inégale et, il. me faut bien l'avouer, que nous ne sommes pas encore convenablement outillés pour partir en guerre. Je me demande si, au cours de cette journée d'attente, des pensées analogues ne sont pas venues à l'esprit de certains d'entre mes officiers, car ils sont renseignés comme moi; si, malgré la certitude qu'ils ont d'être professionnellement prêts, malgré leur foi d' hommes jeunes, malgré leur allant et leur patriotisme éprouvés, .ils n'ont pas été pris eux aussi, ne serait-ce qu'un instant, par cette idée de l'inopportunité, au moins momentanée, de la lutte.
   C'est avec la plus grande impatience, un désir subit de voir clair, que j'attends, pour leur communiquer un ordre dont ils ont déjà prévu la teneur, les hommes qui auront la lourde charge de mener mes chasseurs au combat.
   Quelques minutes à peine et ces hommes arrivent. Je leur transmets l'ordre de départ : les groupes se rendant dans le nord-est décolleront immédiatement l'un après l'autre; ceux qui doivent aller dans le sud-est ne feront mouvement que le lendemain au lever du jour ; je suivrai moi-même les premiers pour gagner, à Velaine-en-Haye, le P.C. du groupement de chasse 22.
   Avant de libérer mes officiers, je serre la main de chacun d'eux, scrutant avidement leur visage pour tâcher de voir au fond de leur coeur et de leur âme. Les visages sont ouverts, sans un pli; les regards sont clairs et directs. Chez aucun je ne saisis trace d'appréhension, ni d'inquiétude; si certains en ont eu, ils me l'ont bien caché. 1ls me paraissent calmes et confiants. Cette constatation me réconforte; mon cerveau et mon âme en sont tout éclairés; j'ai le sentiment que ces hommes viennent de me donner, sans prononcer une parole, une leçon dont je me promets de tirer profit.

"Trois de l' Aviation ", qui sont morts au champ d'honneur :
  "Un de la Chasse", le commandant Borne, commandant le groupe de chasse 2/4; "un du Renseignement », le lieutenant de Renéville, observateur au groupe de reconnaissance 2/33; " un du Bombardernent " le lieutenant-colonel Dagnaux, de l'état-major du groupement de bombardement n° 9.
      Deux officiers de l'armée de l'air : un de l'active, le commandant Borne;. un de la réserve, le lieutenant-colonel Dagnaux; un officier d'active de l'armée de terre, le lieutenant de Renéville, détaché du 2e Régiment de Hussards, les " Houzards de Chamborant ", avec lesquels je suis parti à la mobilisation de 1914.
      Il apparaît ainsi que le choix n'a pas été fait au hasard. On a voulu comprendre dans le triptyque un représentant de chacune des subdivisions de l'aviation. On a voulu réunir ceux de l'active et ceux de la.réserve; on n'a pas omis les officiers, observateurs en avion, détachés de l'armée de terre, qui nous ont rendu tant de signalés services et qui se sont magnifiquement conduits.
      Du reste, dans l'aviation, l'équipage n'est pas un vain mot. Ses membres, qu'ils soient de l'active ou de la réserve, de l'armée de l'air ou de l'armée de terre,sont .fondus dans un même creuset : en temps de paix par l'instruction; en temps de guerre, par la mission qu'ils accomplissent et les dangers qu'ils courent. Les efforts de tous sont mis en commun pour la réussite de la mission, pour faire face au danger et le conjurer s'il est possible; les âmes de tous cornmunient étroiternent :
  « En car1ingue - a dit le général Pierre Weiss - les ressorts de l'âme sont tout ».
                                      
Trois de l' Aviation s'adresse d'abord aux soldats, à ceux de l'armée de l'air et à ceux de l'armée de terre.
     Ceux de l'armée de l'air :
   - s'ils ont fait la guerre, y trouveront, le récit de la mort et de la vie de trois de leurs camarades qui, pour beaucoup, étaient en outre des amis respectés ou estimés. Ces récits leur remémoreront les journées tragiques des mois de mai et de juin 1940, tout au long desquelles ils ont tant peiné etparfois tant souffert; ils en revivront les joies, celles du travail accompli et des succès obtenus, ainsi que les tristesses, celles de 1a perte de camarades moins favorisés par le sort, de l'angoisse et de la défaite de nos armes chaque jour plus précise.
   Les jeunes, arrivés trop tard pour se battre ou venus après l'armistice, y trouveront la connaissance de leurs glorieux aînés dont ils auront à coeur d' entretenir le culte; ils y puiseront les raisons de cultiver, eux aussi, l'esprit de sacrifice, ce qui les préparera aux nobles émulations.
   Ceux de l'armée de terre :
   - s'ils ont cru parfois que l'aviation française avait été trop souvent absente dans leur secteur, feront la part exacte des charges qui lui incombaient et des moyens qu'elle possédait. Il ne me paraît pas nécessaire d'insister sur cette question; le point a été déjà fait par un de leurs chefs, le général Blanchard, commandant la 1 re armée terrestre d'abord et le groupe d'armées n° 1ensuite, dans la préface du livre Chasseurs du Ciel, de Jean Accart. En outre, depuis l'armistice, des causeries ont été faites par des officiers de l'air dans la plupart des garnisons. Je suis certain que tous les officiers de l'armée de terre connaissent à présent les conditions écrasantes d'infériorité, numérique et technique, dans lesquelles leurs camarades de l'aviation, comme souvent eux-mêmes du reste, se sont battus; ils savent que les aviateurs ont fait leur possible, parfois même l'impossible, pour leur apporter toute l'aide dont ils étaient capables.
  - Ils n'ignorent plus que nos Amiot 143, bombardiers de nuit allant à environ 200 kilomètres-heure, sont intervenus, de jour, sur les ponts de Sedan dans une mission toute de sacrifice, que nos chasseurs ont attaqué, au canon, les rassemblements de chars, se substituant ainsi à nos bombardiers trop peu nombreux et mal adaptés à cette mission; que nos chasseurs, de plus,  ont collaboré au travail du Renseignement en exécutant, dès fin mai, de nombreuses reconnaissances d'officiers.
   - Ils savent que, dans l'exécution de ces missions, (que nos règlements d'emploi ne prévoyaient qu'à titre exceptionnel) , nos pertes ont été très lourdes.
   Je suis persuadé qu'ils son't maintenant tous d'accord avec le général Besson, commandant le groupe d'armées n° 3, qui écrivait dans l'ordre général n° 118,
 pour son aviation :
   « Devant des forces très supérieures, groupes de reconnaissance et d'observation, groupes de chasse et de bombardement, ont fait preuve d'un courage et d'un esprit de sacrifice admirables.
   « Au nom des VIe, VIIe et Xe armées et de l'armée Hering, je vous remercie.
   « Aviateurs, mes camarades, soyez fiers de votre arme : elle a bien mérité de la patrie.»
                      
   Trois de l' Aviation s'adresse aussi au grand public, tout spécialement aux jeunes qui feront la France de demain :
   - En suivant la voie tracée par les livres du général Chambe et de Paul Chack sur la Grande Guerre, dont il est le prolongement logique et attendu, le livre du commandant Pierre Paquier montrera au grand public, par des exemples choisis entre beaucoup d'autres, la somme d'héroïsme résolu - résigné même, devrais-je dire - et de sang-froid tranquille dépensée par les équipages de l'armée de l'air au cours des six semaines de la campagne de mai-juin 1940. Il complétera, en entrant dans le détail pour trois des nombreux aviateurs tombés au combat, les exposés des actions de l'armée de l'air durant la dernière guerre, qui ont été faits par le général Chambe et M. Sévérac dans leurs tournées de conférences.
- Aux jeunes, principalement à tous ceux qui, comme le « petit Pierrot » , le fils du forestier Baguet, de Xaffevillers, ont suivi avec admiration et envie les actes quotidiens de nos groupes, ce livre donnera la vocation aérienne, ou tout au moins le goût de l'action et du risque; il les aidera à devenir bientôt des hommes forts, conscients de la profondeur de l'abîme dans lequel le Pays a été bien près de sombrer.
    Plus qu'à toute autre période de notre histoire, il est indispensable que les jeunes se penchent sur la vie des Français, militaires ou civils, qui par leurs actions ont ajouté une pierre à l'édifice de gloire du Pays. Dans la méditation de ces actions, ils puiseront des sentiments nobles et le désir de devenir meilleurs; ils y trouveront la force de ne pas se laisser aller aux bassesses, grandes ou petites, qu'ils ne manqueront pas de voir commettre encore autour d'eux. En bref, ils se forgeront un idéal tout entier tourné vers l' oeuvre de redressement entreprise par le maréchal Pétain. Qu,'ils n'oublient pas combien est juste le mot de Huysmans :
   « Le beau est moins ce que l'on voit que ce que l'on rêve »
    - ou ce que l'on sent. .
                                                 
   Dans la préface d'une plaquette publiée par le capitaine Pierre Paquier, en 1937 , à la mémoire de son parrain, le capitaine de corvette Cavelier de Cuverville, disparu avec l' hydravion Latham au cours de la recherche des rescapés du dirigeable Italia, le général Pierre Weiss écrivait :
    « L ' auteur de cet émouvant chapitre nous doit un grand livre pensé et voulu sur l'Aviation, tel que notre bien cher ami Chambe en a écrit. Le sujet est inépuisable. Que le capitaine Pierre Paquier se penche sur nos étapes, nos héros, les plus humbles de nos rangs; qu'il mette de plus en plus son talent au service du grand rêve ailé qui depuis les origines, hante le coeur des hommes. »
Cinq ans plus tard, ce souhait est exaucé. Il faut espérer que le commanaant Pierre Paquier n'en restera pas à ce livre. La conduite de nos aviateurs au cours de la malheureuse campagne de mai-juin 1940 lui procure une source inépuisable de hauts faits qu'il est nécessaire de faire connaître.
   Pierre Paquier ne manquera pas, j'en suis sûr, de donner à Trois de l' Aviation une suite de nombreux volumes.
                                                                      Toulouse, le 2 jullet 1942
Général de Brigade Aérienne DUMEMES,
Chef du Service Historique de l'Air

Appréciation : ***

 

 



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Dernière mise à jour le 17 septembre 2000