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L'ESPACE
Auteur : Commandant Pierre WEISS
Editeur : Louis QUERELLE
Année : 1929
Sujet : Histoire
Présentation : Dès que l' homme naît, l'espace s'en
empare , le pénètre, le nourrit de son souffle,
fait croître en lui, de jour en jour, la mystérieuse
alacrité et dépose en son coeur les germes du rêve
et de l'interrogation. Tragédie et félicité
spirituelles qui ne s'arrêteront qu'avec l'anéantissement
! Car le fils de la terre ne s'accoutume point a son paradis
prudent et végétal : qu'un vent léger anime
la verdure aux coloris réjouissants, qu'une aile preste
traverse le pur azur, et le regard ignorant, les bras infimes
se tendent vers ce qui se meut. Plus près encore des
sens puérils de l'être tout neuf, le papillon, l'abeille,
insectes aromatiques qui se balancent et s'évadent, invitent
la faible créature à jouir de l'aérienne
liberté, l'incitent à la danse éthérée.
De là, chez l'enfant, d'imagination toujours si puissante,
cette tendresse aux aguets pour la course fringante de l'eau,
l'agitation du feuillage, la chance de l'oiseau , qui semble
rejoindre avec certitude un nid composé par delà
le regard, à l'angle diamanté des constellations.
Toute mobilité tente d'échapper aux invisibles
entraves, s'essaie à l'essor, aspire à l'ineffable
patrie convoitée et interdite pendant des siècles
: l'espace. Il existe un vertige vers l'altitude plus exigeant
que celui de l'abîme. Si l'on peut admettre le sens mystique
de cette phrase de Spinoza: « L ' homme a l'expérience
de son éternité », ilest permis d'affirmer
que l'homme, né héroïque, eut, dès
le commencement du temps, une secrète habitude de son
triomphe , encore irréalisé.
« Je ne suis pas d'ici ! »
pourrait s'écrier tout noble esprit, en se remémorant
la pathétique tristesse d'un saint de l'excessive Espagne,
à qui pesait sa solitude terrestre et l'attrait, sans
recours, de l'atmosphère, que son désir peuplait.
L 'hommage que Shakespeare rendait à
la musique en se défiant des coeurs qui ne seraient pas
sensibles à ses suaves provocations, il faut le rendre
à l'infini, à l'étourdissant enveloppement
de l'univers qui donne à l'homme sa suprême fierté
en l' autorisant au céleste colloque, - qui le console
de son destin chétif par une si débordante magnificence
qu'il n'est ni humiliant, ni désespérant
de se perdre un jour en elle.
Refusons notre créance à
ceux que les mondes d'en haut n'intriguent point, qui ne se veulent
point mêler par la nostalgie et le désir à
la jubilante clarté du jour. Nulle amitié avec
ceux que n'émeut pas l' altière mais insistante
supplication des astres, quand, dans les ténèbres
de la nuit sérieuse, ils s'efforcent, semble-t-il, d'interpeller
la pensée humaine, de lui arracher ce cri fraternel qui
est comme en suspens dans tout l'univers. Plaignons ceux que
leur regard n'attache pas au calme et munificent paysage du firmament
; qui seraient sourds à ce copieux silence où palpite
l'ardeur confidentielle des vigilantes étoiles. Rugissant
silence, certes , et turbulente paix, si l'on n'ignore point
l'incandescent et guerroyant tumulte qui fait, se heurter,
se pénétrer, jaillir et se dissoudre des sphères
de feu dans le tranquille éther ; mais apparence tutélaire,
apaisante bénignité, qui offre à la créature
harassée un familier paradis que le regard conduit jusqu'à
son coeur.
Nous ne sommespas insensibles à telle
constance tendre et romantique dont ce vers de Sainte-Beuve demeurera
le suppliant soupir :
Naître, vivre et mourir dans la même
maison !
Pourtant bien que parfois rencontrée,
elle est rare cette « morne incuriosité »
que réprouvait Baudelaire. Tout ce qui vit espère.
L ' homme n'a pas accepté la loi essentielle et jalouse
qui le retient et le rappelle au sol. Déçu pendant
d'incalculables âges dans ses tentatives héroïques,
il a, du moins, installé le monde de la pensée
au sein de l'altitude, sa sublime ennemie ; aussi, avant d'accueillir
le don prodigieux que lui fait l' homme par sa présence
et son bondissement, elle recevait son humble encens, plein de
sollicitations, de crainte et de louanges .
Il n'est pas de religion qui n'ait placé
les ailes au sommet de son rêve et de son aspiration. L'aile
est divine : Elle isole, elle relie, elle trace le chemin toujours
désiré de l'amplitude ou du rapprochement. C'est
par la hantise des cieux que la poésie s'est sans cesse
affirmée. Les astronomes, au haut des tours d'Agra et
de Philae, le net regard calculateur des Grecs , et, dans le
brumeux Occident, le fiévreux vieillard à barbe
de chèvre accroché de ses doigts griffus au télescope
diabolique, mêlant de chantantes prophéties à
ses ardues découvertes,sont autant de témoignages
de l'inévitable appel des cimes diffuses et sans contours
. Mais cet hymne aux volutes infinies, qu'il s'éleve de
la songeuse Asie, ou qu'il s'exprime par l'anxiété
de Pascal, c'est toujours la résignation de l'homme à
sa destinée terrestre.
Que d'attentes , que de patients désirs,
quel fervent languissement ! L ' histoire enregistre un long
désert où trébuche, s'exténue et
périt la téméraire espérance.
Il a fallu le répéter souvent
ce cri des Grecs dédié à l'orgueilleux Icare
: Il monta et il est mort !
Et voici que l'intelligence et l'intrépidité
humaines conquièrent enfin le vierge et fier royaume !
Depuis vingt années, - vingt années seulement !
- l'étendue aérienne appartient à l' homme.
Si bien établie est cette fervente et formidable alliance,
que la coupole redoutée est désormais comme sillonnée
par des milliers d'arcs-en-ciel,. signe sacré où
l' Ancien Testament reconnaissait l' amitié des cieux
avec les peuples.
Que fallait-il pour que cette aventureuse incursion
réussît, pour que les périlleux essais aboutissent
à cette perpétuelle apothéose ? D'abord,
le courage, cet élan de la vie, si fort qu'il dépasse
la vie même. Le Commandant Weiss a mis pour exergue à
son admirable livre Les Charmeurs de Nuages, cette phrase de
Platon : « C'est nous qui nous trompons, quand nous croyons
que la mort est un mal ». Nous ne pouvons pas nous rallier
à cette affirmation qu'ont choisie les héros prédestinés
, puisque la mort, en nous privant d'eux, referait de l'espace
une steppe inhumaine que ne parcourrait plus le jubilant essor
des pensantes flèches. Pour ne point affiiger la vertu
stoïque de ces coureurs ailés, accordons-leur d'agréer
avec eux ce beau vers de Racine : « La mort n'est pas pour
moi le comble des disgrâces ! » Réponse a
toute médiocrité, refus de tout déclin,
digne et hautaine rupture d'avec le feu coupable ou la cendre
des passions. Mais ces départs, cette ascension que le
péril environne de tous côtés, ce sacrifice
où le violent plaisir ne parvient pas a masquer les ombres
menaçantes, - et ils le savent, et ils n'en ont cure,
- que va-t-il rapporter a ses élus ? D'abord, a chacun,
d'être unique. Chaque visage, chaque nom jaillit hors de
la foule. Ne plus être confondu avec le fleuve obscur et
dense qui se traîne malaisément de la naissance
à la mort, quelle récompense, quelle victoire,
quelle tangible éternité ! J'ai vu le regard de
quelques-uns de ceux que la gloire avait ramenés parmi
nous et qui, pour avoir accompli l'inconcevable, nous semblaient
si royalement étrangers !Oeil angélique, sagace,
et pourtant comme sournois , de Lindbergh ; pénétrants
yeux bleus, précis , étroits, qui semblaient, dans
leur délicate et ferme réserve, ne vouloir de relations
qu'avec la nue. Beau regard intimidant de Costes, que l' on sait
voué à l'exceptionnel, oeil étincelant ou
voilé, dont l'éclat bombé repousse avec
un spontané dédain tout ce qui n'est pas l'exploit
insigne et non-pareil. Rire des flots marins, scintillants et
brefs, dans les yeux de Le Brix, où se jouent ces clairs
oiseaux des mers si gaiement enivrés que l'on voit leur
vol argenté se renverser comme la feuille frémissante
du tremble. Direct et naïf coup d' oeil d' Assolant , modestement
assuré de son pouvoir, et que ne surprend pas sa chance
bien ordonnée, mais protégée des dieux.
Dans son livre écrit avec une exactitude
qui pourtant paraît mythologique, La bataille de l'Atlantique,
le Commandant Weiss a prodigué de lyriques lauriers aux
nombreux vainqueurs. Mais il fallait bien qu'il s'oubliât
lui-même.
C' est donc nous, et malgré lui,
qui dépeindrons son audacieuse, légendaire et désinvolte
bravoure, son enthousiasme qu' aucune heure de la vie, qu'aucun
brouillard hostile ne sauraient ternir. Si, par miracle, la passion
de l'air et celle des plus hauts devoirs sont dans son coeur
confondues, si la faculté de tout rechercher , comprendre,
expliquer et pour ainsi dire bénir , demeure sans répit,
elle crée la constance dans l' exaltation. L'exaltation,
qu'on appelle aussi la Grâce ! Elle est étale, -ô
! surprise ! - cette vertu de bondissement et de chute, cette
faveur qui se paye d'ordinaire par l' abattement et la sécheresse.
Chez l'auteur de ce livre, elle compose son visage, sa pensée,
ses écrits, ses actions.
Quel recueil de poésie l' on composerait
en citant ce que l'intelligence et la mélodie verbale
ont consacré à l'infini ! C'est à vous qu'on
dédierait ce volumev : « Tout-puissants étrangers,
inévitables astres », ainsi que vous nomme Paul
Valéry. Et qui, mieux que le Commandant Weiss, dirigerait
cette ineffable anthologie, lui qui, poète lui-même,
n'ignore aucun poète véritable ? Je
me souviens d'une soirée languissante, réunion
mondaine, maladroite et sans plaisir , où tout ressemblait
a une erreur : le pianiste, la chanteuse, le buffet, les convives.
Et soudain, dans cette torpeur qui s'efforçait à
l'animation, j'entendis jaillir d'une voix qui, jusque-là,
ne nous avait pas touchés, un vers modulé de Victor
Hugo : « Quand la nuit n' est pas étoilée..
.» Ce simple rappel du dôme impérieux, ces
mots volontairement sans éclat, atténués
comme le plumage de la femelle du rossignol, suffirent a briser
le cadre morose, a établir parmi nous l' obscur et radieux
sentiment du divin.
Si le Commandant Weiss n' avait pas son
don extrême de poésie, qui le porte a recueillir
avec la véracité la plus émue toutes les
images , toutes les sensations que lui fournit sa carrière
glorieuse (ainsi l'oiseau rafle-t-il sur son passage les
climats, les aromes, les contrées), il lui suffirait de
faire le récit d'une de ses aventures célestes,
pour que de saisissantes visions viennent éveiller celles
qui reposaient dans notre souvenir .
Aborde-t-il au Portugal, son avion atterrit
dans les vignes du Tage. Ces mots seuls séduisent déjà
l'esprit rêveur, et nous songeons au frémissement
passionné de ce chant de Barrès , amoureux de l'Espagne
: « O beaux raisins , jaspés du verger de Triana
! »
Ont-ils une autre âme que nous,
ces habitués du feu solaire qui s'élancent avec
simplicité « le matin dans l'azur et la nuit dans
les astres ? » Soyons-en assurés. Les oppressantes
délices de l'été que nous avons cru capter,
les jeux éblouissants de la lumière descendue dans
les fleurs, ces heures aveuglantes de midi dont nous parlions
avec orgueil, ils en connaissent l'éclat naissant, les
sources de bouillonnant azur.
Si grande est certainement la différence
qui les éleve au-dessus de nous, qu'il nous faut renoncer
à bien comprendre leur secret.
Désignés pour de mortels combats,
ils protègent de leurs ailes le sol natal, comme l'aigle
son aire. Mais familiers des pures constellations, quelles ne
sont pas, dans l'espace, leurs nobles méditations ?
C'est par l'infini et ses signes de diamant
que l'humanité ressent sa filiale unité. Splendeur
de l'unique soleil ! Modifications harmonieuses, délicates,
poétiques de la lune pensive !
Peut-être en dépêchant vers
les nues ses légions privilégiées, les fils
de la terre entendront-ils un jour l' annonciation retentissante
de l'intelligence rassemblée et de la paix fraternelle.
Comtesse
de NOAILLES.
9 septembre 1929.
Appréciation
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