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ARMEE DE L'AIR
Avant même que l'homme sût maîtriser
la troisième dimension, Clément Ader, génial
pionnier de l'aéronautique, affirmait en 1893 que l'aviation
militaire, « cette future arme (sera) si terrible qu'elle
détruira les autres ». Bien qu'elle devançât
les courants d'opinions les plus avancés, cette réflexion
ne pouvait surprendre car elle s'inscrivait dans une -déjà
longue - tradition de modernisme qui, depuis la fin du XVIIIe
siècle, place la France à l'avant-garde de l'aéronautique.
C'est en effet avec la Convention que naquit l'aéronautique
militaire : l'arrêté de 1793 portant création
d'une compagnie d'aérostiers marqua l'irruption du «
fait aérien » dans la conduite des opérations
de guerre. L'étonnante préscience que manifestèrent
les conventionnels reçut sa récompense. Le ballon
L'Entreprenant, premier aéronef militaire au monde,
permit aux armées de la jeune République de recueillir
de précieux renseignements sur les dispositifs adverses
et ne fut sans doute pas étranger à l'heureuse
issue du siège de Maubeuge ou de la bataille de Fleurus
(26 juin 1794). Bien qu'elle enthousiasmât 1'opinion, cette
première expérience resta pour un temps sans lendemain.
Il fallut attendre la guerre franco-prussienne de 1870 pour qu'à
nouveau, le ballon vînt fournir aux armées -et à
la population parisienne - un soutien des plus appréciés.
C'est toutefois avec l'émergence du XXe siècle
que l'aéronautique militaire a cessé d'être
curiosité scientifique pour devenir instrument de guerre.
Le développement de « l'avion », aéronef
à voilure rigide et propulsion par moteur, fut immédiatement
exploité par l'armée de terre qui, sans nul doute,
en pressentait l'importance pour les combats à venir.
En 1911, le brevet de pilote militaire fut créé
et, dès 1912, l'aéronautique militaire parvint
à s'imposer puisqu'une loi du 29 mars en consacra l'existence,
comme arme, aux côtés des quatre armes de tradition
que constituaient l'infanterie, la cavalerie, l'artillerie et
le génie.
« L'aéronautique militaire est chargée
de l'étude, de l'acquisition ou de la construction et
de la mise en oeuvre des engins de navigation aérienne
utilisables par l'armée, tels que ballons, avions, cerfs-volants.
Elle assure l'administration et la mobilisation des formations
affectées au service de ces engins ainsi que l'instruction
du personnel. »
A cette même période, Clément
Ader, oracle de l'aviation, prévint: « L'aviation
ne restera pas la cinquième arme; malheur à nous
si nous la négligeons. » Il fut entendu puisqu'à
partir de 1911 les grandes manoeuvres annuelles permirent de
tester l'utilisation militaire des engins volants dont la doctrine
d'emploi fut ébauchée. A la veille de la guerre
(juillet 1914), l'armée française mettait en ligne
216 appareils répartis en 27 escadrilles. Lorsque les
hostilités éclatèrent, les appareils étaient,
pour l'essentiel, conçus comme des engins de reconnaissance
ou d'observation et n'étaient donc pas armés. Très
vite,certains furent équipés d'une mitrailleuse
et, le 5 octobre 1914, un premier combat aérien, qui vit
la victoire de l'équipage français, marqua en quelque
sorte la naissance de la chasse.
En 1915, un nouveau pas fut franchi dans l'organisation
de l'aviation militaire avec la création de subdivisions
d'arme : chasse, bombardement, transport, observation, écoles.
Le fait aérien s'imposa rapidement et c'est ainsi par
exemple qu'en 1918 chacune des offensives alliées fut
appuyée par plus de 300 avions. Le jour de l'Armistice
(11 novembre 1918), la France comptait près de 12
000 aéronefs dont 3 800 avions en ligne servis par
près de 90 000 hommes ! La guerre avait permis
au pays de se forger une expérience souvent acquise au
prix du sang de héros obscurs ou nimbés de légende
tel Guynemer, et d'où se dégageaient deux leçons
principales : dans une guerre future le fait aérien serait
prééminent, l'aviation ne serait efficace qu'utilisée
massivement.
En 1918, l'aviation militaire française,
qui avait produit plus de 40 000 appareils pour la seule satisfaction
de ses besoins propres, pouvait s'enorgueillir d'être la
première au monde. La paix revenue, elle connut
cependant une période de déclin et se trouva bientôt
amoindrie dans ses effectifs ou ses équipements.
Des tentatives successives de réorganisation l'élevèrent
au rang de direction dans l'armée de terre mais ne purent
cependant lui conférer la maturité et l'autonomie
que la Royal Air Force britannique sut trouver dès 1918.
La création en 1928 d'un ministère de l'Air
put laisser espérer une reconnaissance de l'entité
aérienne militaire, il n'en fut rien. En 1932, une réforme
positive intervint : la création de « bases aériennes
», ensembles fonctionnels regroupant sur un même
site des unités aériennes et les moyens, techniques
ou administratifs nécessaires à leur mise en oeuvre.
Cest par la loi du 2 juillet 1934 que fut consacrée
la pleine maturité de l'aviation militaire que le législateur
érigea en armée, à l'instar de l'armée
de terre ou de la marine. Il s'agissait là d'un indispensable
progrès. Pourtant, cette loi « fixant l'organisation
générale de l'armée de l'air » présentait
un grave défaut, elle donnait à l'armée
de l'air un cadre exclusivement territorial: les régions
aériennes placées sous l'autorité d'un général
qui exerçait le commandement sur l'ensemble des forces
et services stationnés sur le territoire de la région.
Ce n'est qu'en cas de mobilisation, que des grandes unités
aériennes étaient constituées. Ainsi pouvait-on
reprocher à cette organisation, calquée sur le
modèle de l'armée de terre, d'être inadaptée
et, notamment, d'ignorer le principe de permanence, puisqu'à
la mobilisation, période cruciale, le dispositif devrait
être complètement remanié pour basculer d'une
organisation territoriale vers une organisation fonctionnelle.
L'existence d'un découpage géographique
s'imposait sans conteste mais il eût fallu qu'il permît
la constitution simultanée de commandements opérationnels
non liés à ces limites géographiques. Avec
la montée de la tension en Europe, s'ouvrit alors une
courte période de réflexion, de « rodage
» pourrait-on dire, durant laquelle la jeune armée
s'efforça de concilier ses impératifs militaires
avec le cadre que lui traçaient ses structures juridiques.
En 1935 fut créée l'Ecole de l'air qui désormais
s'inscrirait dans le concert des grandes écoles militaires
aux côtés de l'Ecole polytechnique, Saint-Cyr et
l'Ecole navale.
Lorsque éclata la seconde guerre mondiale
(septembre 1939), l'armée de l'air comptait 150 000 hommes
servant près de 3 300 appareils dont 1 368 en première
ligne.
Ces chiffres ne devaient cependant pas faire illusion
et les erreurs ou hésitations constatées à
partir de 1920 contribuèrent à expliquer une défaite
que le courage des équipages (1 003 victoires entre
septembre 1939 et le 17 juin 1940) ne put éviter.
Commença alors la période noire de l'occupation
marquée dès le 7 juillet 1940 par la création
des premières unités des Forces aériennes
françaises libres (FAFL). Bientôt équipées
de matériel allié, ces unités s'illustrèrent
sur les fronts ouest (Groupe Alsace (chasse), Lorraine
(bombardement), lle-de-France (chasse)) et est
(Normandie-Niémen (chasse)), leurs effectifs allant
sans cesse croissant en dépit des pertes subies. En juillet
1943, les Forces aériennes françaises (armée
d' Afrique et FAFL) comptaient 35 000 hommes, le 8 mai 1945 les
effectifs de l'armée de l'air dépassaient 100 000
hommes ; 1 230 avions servaient en première ligne, 600
nouvelles victoires aériennes avaient pu être acquises
depuis l' Armistice de mai 1940.
Dès la fin des hostilités,
l'aide des alliés jointe à l'effort de l'industrie
aéronautique nationale permirent à l'armée
de l'air de maintenir son rang bien que déjà elle
se trouvât engagée dans de nouvelles opérations
en Indochine (14 décembre 1945 : première mission
de chasse sur ce territoire).
Durant les premières années
qui suivirent la guerre, l'armée , de l'air, en effet,
appliqua son effort sur la modernisation de ses équipements
et entreprit une réflexion en profondeur sur ce que devraient
être ses structures et son organisation. Une révolution
technologique: la mise au point du réacteur, vint bientôt
rendre obsolètes des appareils dont quelques années
auparavant on vantait les performances. En juillet 1950,
les Vampire; premiers avions à réaction
en service dans l'armée de l'air, vinrent équiper
la 2e escadre de chasse. Ce recours aux technologies nouvelles
ne marqua pourtant pas immédiatement la fin des moteurs
à piston puisque pendant quelques années encore,
ce mode de propulsion s'avéra précieux pour l'équipement
des aéronefs engagés dans le soutien des troupes
en Indochine puis en Algérie. Le changement était
cependant en marche et rien ne l'arrêterait plus. En juillet
1953, les Ouragan, premiers avions de combat français
à réaction, entrèrent en service. Trois
ans plus tard (juin 1956) les Mystère IV A,
chasseurs supersoniques de conception nationale, vinrent les
supplanter. L'ère des avions supersoniques était
ouverte.
Durant cette même période,
il se confirma que la loi de juillet 1934 était inadaptée
aux exigences du temps et c'est pourquoi, en 1953, un décret-loi
vint préciser que « dans l'organisation provisoire
de l'armée de l'air, en plus de la division en régions
aériennes (...), il peut être créé
(...) de grandes unités aériennes et des groupements
d'unités aériennes spécialisées placées
sous le commandement d'un officier général (...)
relevant directement du ministre et comprenant des éléments
stationnés sur le territoire d'une ou plusieurs régions
aériennes ». Un cadre était tracé
qui favoriserait la coexistence de deux types de structures:
territoriale et opérationnelle, et qui, donc, sauvegarderait
le principe de permanence.
Ces dispositions permirent la constitution successive du
1er commandement aérien tactique (1er CATAC, 1958)
puis de plusieurs grandes unités aériennes spécialisées
(GUAS) : le commandement air des forces de défense aérienne,
le commandement du transport aérien militaire, le commandement
des écoles et enfin le commandement aérien stratégique.
Avec cette dernière grande unité, l'armée
de l'air releva un autre défi et pénétra
dans un nouvel univers technologique puisqu'en effet, dès
le 1er octobre 1964, un escadron des forces aériennes
stratégiques, nouvellement constituées, prit
l'alerte opérationnelle. A cette composante pilotée
de la force nucléaire de dissuasion s'ajouta rapidement
un groupement de missiles, lui aussi placé sous la responsabilité
de l'armée de l'air.
Cette même année 1964, une série d'instructions
ministérielles corrigea les insuffisances constatées
dans la réglementation issue de l'après-guerre
et jeta les fondements de l'organisation actuelle de l'armée
de l'air dont ainsi les structures dûment rodées
par l'expérience parvinrent à majorité.
La plus jeune des armées dispose désormais
de structures stables, adaptées à ses missions
que près de 100 000 hommes et femmes contribuent à
remplir. Quatre cent cinquante avions de combat constituent l'ossature
de cette force toujours à l'avant-garde de la technologie,
donc, toujours en devenir ...
L'ARMEE DE L'AIR Hubert HAENEL et René
PICHON
PRESSE UNIVERSITAIRES DE FRANCE n° 2346 |